Au bord de la rivière T4 - Constant

temps de te parler de mon idée d’ouvrir une fromagerie…
    — On verra ben, avoua Donat, qui visiblement ne pensait plus à ça du tout.
    — Je veux ouvrir une fromagerie juste à côté, dans la cour qui sépare mon magasin de la forge. Évariste demande pas mieux que de me vendre un morceau de son terrain. Et là, c’est ton frère qui serait fromager parce que moi, je connais rien là-dedans.
    — C’est une bonne idée, approuva Donat, tout de même un peu déçu de ne pouvoir probablement pas compter sur l’aide de son frère… Vous avez pas pensé à la maison de Tancrède Bélanger, juste de l’autre côté du pont ?
    — Est-ce qu’il parle de vendre ? s’étonna le marchand général.
    — Dimanche passé, après la messe, il m’a encore dit que ses rhumatismes le faisaient ben souffrir et qu’il avait hâte de se débarrasser de sa terre pour aller rester chez son garçon, à Saint-Zéphirin.
    — T’es le premier à m’en parler.
    — Moi, je vous dis ça comme ça, mais il me semble que ses deux grandes remises sont ben d’aplomb et pourraient faire l’affaire pour une fromagerie. En plus, le fromager pourrait rester dans la maison à côté.
    — C’est vrai que ce serait juste de l’autre côté du pont et que ça m’éviterait de construire du neuf.
    — Vous sauveriez même votre grande cour à côté, ajouta Angélique avec un sourire.
    — Il reste juste à savoir combien le bonhomme Bélanger va demander pour sa terre. Lui, il a pas la réputation de donner ses affaires. Je me rappelle encore un peu trop de son pont.
    — Bon, je vais y aller si je veux faire quelque chose de ma journée, dit Donat en saluant les Dionne.
    En remontant dans son boghei, le jeune cultivateur réalisa tout à coup ne pas avoir entendu Alexandrine Dionne dire un seul mot durant tout l’échange. Il se demanda si elle approuvait l’idée de son futur gendre de posséder une fromagerie… D’ailleurs, rien dans son comportement ne disait non plus qu’elle acceptait que son jeune frère, Hubert, qui ne savait ni lire ni écrire, revienne fréquenter celle qu’elle considérait comme un véritable trésor.
    Il fit faire demi-tour à son attelage. Au passage, il vit sa sœur en train de laver les fenêtres de la façade de son école malgré la chaleur moite de cette matinée de septembre. Il n’y avait pas la moindre brise rafraîchissante et le ciel commençait à s’ennuager.

    À son retour à la ferme, il détela le Blond et alla retrouver sa mère et son employé en train de déterrer des pommes de terre.
    — T’es déjà revenu ? lui demanda Marie.
    — Oui et je pense que je vais commencer à faucher l’avoine, même si le temps a l’air de vouloir se gâter.
    Pendant un court moment, il espéra que sa mère lui offre l’aide d’Ernest Gingras, mais elle n’en fit rien.
    — Avant de partir, jette donc un coup d’œil à ta femme, lui conseilla-t-elle, en se relevant pour frotter ses reins endoloris. Je le sais pas, mais elle a pas l’air dans son assiette depuis le déjeuner. Il lui reste au moins trois semaines avant d’avoir son petit.
    La seconde grossesse d’Eugénie était passablement difficile depuis le début. Le docteur Samson de Saint-Zéphirin l’avait même forcée à s’aliter durant plusieurs semaines et Marie Beauchemin, la mort dans l’âme, s’était vue obligée alors de lui céder sa grande chambre au rez-de-chaussée. Il ne fallait pas être grand clerc pour s’apercevoir rapidement que la belle-mère se méfiait d’une bru qu’elle avait toujours accusée de paresse et de nonchalance.
    — Elle s’écoute trop, répétait-elle souvent aux siens, loin des oreilles de Donat et d’Eugénie. Il faut se secouer, bondance !
    En fait, elle avait une dent contre la jeune femme au maigre chignon noir depuis qu’elle s’était aperçue qu’elle poussait son fils à la persuader de se donner à lui.
    — Je vais aller voir.
    — Dis-lui donc de s’asseoir à l’ombre sur la galerie pour prendre l’air au lieu de rester enfermée dans la chambre. Sors aussi Alexis. Cet enfant-là a besoin de respirer un peu d’air. Elle l’a couché avec elle dans votre lit.
    Donat se borna à faire signe qu’il avait compris et il prit la direction de la maison. Il s’arrêta un court moment dans la cuisine d’été silencieuse pour se verser une tasse d’eau fraîche avant de pousser la porte communicante qui permettait d’accéder à la