Au bord de la rivière T4 - Constant
j’ai eu de la misère à persuader ton père de te laisser y retourner. Là, on parle plus que tu deviennes maîtresse d’école. T’as tout le temps d’y penser. Non, j’ai seulement persuadé ton père que ce serait un honneur pour les Connolly que tu sois la première fille de Saint-Bernard à avoir son diplôme. Et c’est vrai que ça nous ferait bien plaisir que tu l’aies.
— Mais c’est pas certain, Camille, protesta Ann.
— Moi, je suis sûre que t’es capable et ma sœur va tout faire pour t’aider.
Une heure plus tard, toute la famille se retrouva assise autour de la table en compagnie de l’oncle Paddy, qui, s’étant réveillé deux heures plus tôt que d’habitude, avait décidé de venir prendre son déjeuner avec les autres. Avant de s’asseoir au bout de la table, Camille avait déposé au centre une assiette surchargée de crêpes appétissantes bien chaudes. Ann la suivit avec un cruchon de sirop d’érable et la théière.
— Ça me tente pas ben ben de manger ça, osa dire le pensionnaire en regardant les crêpes.
Camille jeta un regard à son mari qui ne broncha pas.
— C’est bien de valeur, mon oncle, mais c’est ce qu’on mange pour déjeuner et il y a pas autre chose.
— J’aurais dû attendre une heure de plus avant de me lever, ronchonna Paddy en se servant tout de même deux crêpes épaisses qu’il prit soin de napper de sirop.
— Ça aurait rien changé. Je vous les aurais gardées au fourneau, le rembarra sa nièce par alliance.
Le reste du repas se prit en silence et Liam attendit de s’être versé une tasse de thé avant de reprendre la parole.
— À matin, c’est pas l’ouvrage qui manque, déclara-t-il aux siens. Patrick, tu vas aller me nettoyer l’étable pendant que Duncan va faire la même chose à l’écurie. Moi, je vais m’occuper de mettre un peu d’ordre dans la soue.
— Et moi, p’pa, qu’est-ce que je vais faire ? lui demanda la petite Rose, pleine de bonne volonté.
— Inquiète-toi pas, Camille va te trouver quelque chose à faire, répondit-il en dissimulant mal un premier sourire. L’école s’en vient, et je veux que tout soit d’aplomb quand vous allez partir pour l’école.
— Je vais pas retourner à l’école cette année, p’pa ? demanda Patrick sur un ton légèrement suppliant. J’ai douze ans et…
— J’ai jamais dit que tu y retournais, le calma sèchement son père. On en avait parlé en juin dernier, tu vas rester ici à la maison pour m’aider.
L’air soulagé du jeune adolescent apporta un léger sourire sur les lèvres de Camille.
— Et moi, je pourrais ben rester pour vous aider, p’pa, s’empressa de dire Duncan qui avait l’école en horreur et n’y allait que forcé.
— Non, toi, tu nous seras d’aucune utilité pour le bûchage. T’es encore trop jeune pour cette besogne-là. Quand tu reviendras de l’école, t’aideras à fendre et corder le bois.
Camille sentit que le garçon de onze ans avait du mal à résister à une forte envie de protester, mais pour avoir subi des raclées mémorables de son père à plusieurs reprises dans le passé, il sut d’instinct se retenir.
— Et Ann, p’pa, elle viendra pas avec nous autres comme l’année passée ? demanda Rose, apparemment déçue de constater que sa grande sœur ne serait plus là pour l’aider.
— Non, ta sœur reste à la maison pour aider Camille, fit Liam d’une voix tranchante, ce qui amena Paddy à hocher avec satisfaction la tête après avoir allumé son premier cigare de la journée.
— Mais p’pa… commença Ann.
— Il y a pas de « Mais p’pa », fit son père en haussant la voix. Tu vas retourner à l’école après les fêtes, que tu le veuilles ou non, ma fille. Camille et moi, on tient à ce que tu nous fasses honneur et que tu sois la première fille de Saint-Bernard à avoir ton diplôme, tu m’entends ?
— Oui, p’pa, répondit Ann d’une toute petite voix.
— Et t’es mieux de pas nous faire honte. Là-dessus, on a assez perdu de temps. Envoyez, les garçons, grouillez-vous, l’ouvrage nous attend.
Après le lavage de la vaisselle, Camille envoya ses deux filles cueillir les tomates mûres dans le jardin pour les faire bouillir et les mettre en pot. La semaine précédente, on avait cuisiné le blé d’Inde lessivé qui allait être servi dans la soupe durant l’hiver. Au moment où elle sortait de la maison, elle aperçut Paddy,
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