Au bord de la rivière T4 - Constant
crut qu’elles allaient être fracassées. Il lui fallut déployer beaucoup d’efforts pour parvenir à fermer la fenêtre que le vent repoussait.
Marie avait toujours eu peur des orages depuis que, petite fille, la foudre était tombée sur la grange paternelle. L’incendie avait rasé le bâtiment et la maison familiale avait bien failli y passer.
— Il faut absolument que j’aille fermer les fenêtres de la cuisine d’été, dit-elle pour elle-même en allumant sa lampe.
Elle sortit de sa chambre au moment même où Bernadette quittait la sienne.
— Viens m’aider à tout fermer en bas, lui commanda- t-elle.
Les deux femmes descendirent au rez-de-chaussée et trouvèrent Donat planté devant l’une des fenêtres de la cuisine d’été, cherchant apparemment à voir ce qui se passait à l’extérieur.
— J’ai tout fermé, dit-il à sa mère, mais j’ai bien l’impression que, demain matin, on va chercher nos chaises berçantes qui étaient sur la galerie. Le vent les a charriées je sais pas où.
— Est-ce qu’il est tard ? lui demanda sa mère.
— Deux heures et demie.
— On va allumer un lampion pour que le bon Dieu nous protège, déclara Marie en se dirigeant vers l’armoire pour en sortir une bougie de prière.
Des roulements assourdissants de tonnerre se firent entendre de nouveau et le ciel fut zébré par plusieurs éclairs, ce qui permit à Donat de voir certains de ses arbres en bordure de la cour pratiquement pliés en deux par des vents d’une violence inouïe. Les grêlons furent progressivement remplacés par une véritable pluie diluvienne qui tombait à l’horizontale.
— Torrieu, la couverture des bâtiments va ben finir par partir si ça se calme pas ! s’écria Donat, incapable de cacher son inquiétude.
— Et nos vaches dans le champ ? fit sa mère.
— Il y a rien qu’on peut faire pour elles, décréta-t-il. Je pense surtout à la foudre…
— Parle pas de malheur, toi, le rembarra sa mère.
À l’extérieur, le tonnerre, les éclairs et la pluie étaient d’autant plus effrayants qu’il faisait noir et qu’on ne pouvait évaluer les dommages qu’ils causaient.
— En tout cas, on peut réciter un chapelet pour que le bon Dieu nous épargne, déclara Marie en se mettant à genoux.
Donat et Bernadette l’imitèrent et prièrent avec ferveur. Après la récitation du chapelet, Bernadette prit sur elle d’aller allumer un second lampion qu’elle déposa au centre de la table. Son frère disparut quelques instants dans sa chambre pour rassurer Eugénie et ramener Alexis qui s’était mis à pleurer. Marie prit l’enfant et entreprit de le rendormir en le berçant. Durant près d’une heure, aucune des personnes présentes dans la cuisine d’été ne parla de retourner se coucher. Ce qui se passait à l’extérieur était trop inquiétant.
Près d’une heure plus tard, Marie alla coucher un Alexis endormi dans son petit lit.
— Je pense que je vais en faire autant, déclara son fils en se levant au retour de sa mère dans la cuisine d’été. Ça sert à rien de se ronger les sangs, on voit rien et on peut rien faire.
À l’extérieur, il y eut un bruit assourdissant qui fit sursauter les trois Beauchemin.
— Ça, c’est une grosse branche que le vent vient de casser, annonça Donat. Reste à savoir sur quoi elle est tombée, ajouta-t-il.
— Dis donc, intervint Bernadette. On dirait bien qu’Ernest Gingras dort comme une vraie bûche.
Le jeune homme haussa les épaules et prit la direction de sa chambre, laissant sa mère et sa sœur, seules, dans la cuisine.
— Si encore le vent se calmait, fit l’institutrice en se tournant vers sa mère, j’irais me recoucher. Mais là, il souffle comme s’il essayait d’arracher la maison de ses fondations.
La veuve de Baptiste Beauchemin se contenta de sortir son chapelet et d’entreprendre une autre récitation, muette celle-là, pour demander à Dieu d’épargner les siens.
Au petit matin, le jour se leva dans un ciel uniformément gris. Le vent était enfin tombé, mais la pluie continuait de tomber dru.
Les premières lueurs de l’aube trouvèrent Marie Beauchemin endormie dans sa chaise berçante dans une position des plus inconfortables. Bernadette avait choisi de retourner se mettre au lit un peu avant quatre heures, lorsque le vent avait commencé à faiblir.
La maîtresse des lieux quitta sa chaise en geignant tant elle était courbaturée et elle se
Weitere Kostenlose Bücher