Au bord de la rivière T4 - Constant
Durant tout le temps que la jeune femme blonde parlait, sa belle-sœur Bernadette admira encore une fois les belles bottines noires et luisantes que celle-ci portait. Ceci l’amena à chercher du regard Constant Aubé qu’elle finit par apercevoir en train de discuter avec Télesphore Dionne et son épouse.
Elle s’étonna immédiatement de ne pas voir Laurence Comtois à ses côtés et elle regarda attentivement tout autour pour tenter de la repérer. Elle ne vit pas plus la jeune femme que son père. Cette constatation lui causa un certain plaisir et elle reporta son attention sur les chaussures neuves de Catherine.
Sur le chemin du retour à la maison, incapable de cacher son envie, elle ne put s’empêcher de dire à Donat :
— Je te dis qu’il y en a qui sont chanceuses.
— De qui tu parles ? lui demanda son frère, intrigué.
— Je parle de Catherine. Xavier lui a donné des belles bottines à la mode.
— Elle est pas toute seule à en avoir dans la paroisse, répliqua-t-il. Aubé m’a dit qu’il en avait fait à Laurence Comtois et à Angélique Dionne.
— Même à Angélique Dionne ! s’écria la jeune institutrice, folle de jalousie.
— Et je peux te dire qu’Eugénie va aussi en avoir une belle paire, jugea bon d’ajouter Donat. C’est une surprise que je veux lui faire.
— Eh bien ! Ça a l’air que je vais être la seule femme de Saint-Bernard à pas en avoir.
— T’as juste à t’organiser avec Constant Aubé, lui suggéra son frère en pénétrant dans la cour de la ferme.
Après le dîner ce dimanche-là, Bernadette offrit à sa mère de demeurer à la maison pour prendre soin d’Eugénie et d’Alexis, et ainsi lui permettre de participer à la petite fête offerte chez Xavier.
— Ça me dérange pas de rester, dit Marie.
— Non, allez-y, m’man. J’ai encore de l’ouvrage à faire pour mes classes, mentit sa fille cadette, qui n’avait vraiment pas le cœur à la fête.
Après le départ des siens, elle s’assit sur la galerie pendant la sieste d’Alexis et imagina toutes sortes de scénarios lui permettant de rentrer dans les bonnes grâces de Constant. Elle avait bêtement cru qu’il se morfondrait d’amour pour elle quand elle lui avait signifié qu’elle avait besoin de réfléchir à leur relation. Ce n’était pas du tout ce qui s’était produit. Laurence Comtois lui avait rapidement mis le grappin dessus, signe qu’il ne l’aimait pas autant qu’elle le croyait. Pire, depuis le printemps précédent, il l’évitait ostensiblement, ce qui lui enlevait pratiquement toute chance de l’attirer.
Assise seule sur la galerie, elle en était à se demander si elle ne l’aimait pas plus que lui. « À part ça, il m’a jamais dit, lui, qu’il m’aimait », songea-t-elle avec une flagrante mauvaise foi.
— Pourquoi je l’aimerais ? murmura-t-elle pour elle-même. Il boite et il est même pas beau.
Soudain, à la pensée de l’avoir irrémédiablement perdu, son cœur se serra et elle se sentit malheureuse. Finalement, déprimée, elle rentra dans la maison et décida d’aller faire une sieste après avoir constaté qu’Eugénie dormait, comme son fils. Elle monta à l’étage et se laissa tomber sur son lit après avoir retiré ses souliers.
Une heure plus tard, la voiture d’Armand Beauchemin entra dans la cour et vint s’immobiliser près de la galerie. Le frère aîné de Baptiste Beauchemin se tourna vers les deux sœurs Grises assises sur la banquette arrière du boghei en tirant un large mouchoir à carreaux de la poche de son pantalon pour essuyer la sueur mêlée à la poussière qui maculait son visage.
— Baptême, on dirait qu’il y a personne, dit le gros homme, l’air inquiet.
— Voyons donc, Armand, répliqua l’une des religieuses, une grande et grosse femme à la voix autoritaire. Tu sais bien que Marie laisse jamais la maison sans surveillance.
— En tout cas, ça a pas l’air de bouger ben gros dans la maison, dit le cultivateur de Sainte-Monique sans faire mine de descendre de voiture.
— Il faut aller voir, répliqua sa sœur Mathilde. Allez-y, sœur Sainte-Anne, ordonna-t-elle à sa chétive compagne.
La petite religieuse descendit de voiture, monta sur la galerie et frappa discrètement à la porte moustiquaire.
— Frappez plus fort, ma sœur, lui ordonna Armand d’une voix bourrue. Je t’avertis, Mathilde, ajouta-t-il en se tournant vers sa sœur qui trônait, seule, sur
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