Au bord de la rivière T4 - Constant
risquait de réveiller sœur Sainte-Anne.
Elle descendit l’escalier sur la pointe des pieds en brandissant à bout de bras sa lampe et gagna la cuisine d’été où il régnait une fraîcheur des plus inconfortables. Enfin rassurée, Mathilde Beauchemin prit le temps d’allumer le poêle. Elle fut même secouée par un léger frisson de bien-être quand elle entendit les flammes ronfler dans l’âtre. Au moment où elle prenait place dans une chaise berçante placée près du poêle, elle entendit l’horloge de la cuisine d’hiver sonner une heure.
— Seigneur, la nuit va être longue, ne put-elle s’empêcher de murmurer.
Après une brève hésitation, elle décida de laisser la lampe à huile allumée. Son halo avait quelque chose de rassurant au milieu de tous les bruits et les ombres de la nuit.
La religieuse eut une nuit plutôt éprouvante, blottie contre le poêle qu’elle alimenta à plusieurs occasions. Cent fois, elle regretta de n’avoir pas songé à descendre au rez-de-chaussée une des couvertures rangées dans la grande armoire installée sur le palier à l’étage. Elle aurait été tellement bien, emmitouflée dans une épaisse couverture de laine… Toutefois, à la seule pensée d’avoir à monter là-haut et d’affronter des mulots, sa couardise prenait le dessus et elle préférait serrer contre elle son châle qui la protégeait bien mal contre les courants d’air de la cuisine d’été.
Mathilde Beauchemin s’endormit à plusieurs reprises durant cette nuit, mais chaque fois sa position inconfortable la réveillait, la laissant de plus en plus courbaturée. Une femme de sa corpulence n’était pas faite pour passer une nuit complète recroquevillée dans une chaise berçante. À chaque réveil en sursaut, elle jetait une bûche dans le poêle, s’assoyait, combattait durant quelques minutes le sommeil avant de s’abandonner.
Les premières lueurs de l’aube la trouvèrent la tête un peu tordue sur le côté et les bras frileusement serrés contre sa poitrine. C’est ainsi que Marie et Bernadette la découvrirent à côté d’un poêle dont le foyer ne contenait plus que des tisons.
— Ma foi du bon Dieu, veux-tu bien me dire ce que ta tante fait là ? murmura la maîtresse de maison, stupéfaite de trouver la religieuse debout si tôt le matin.
— Ayez pas peur, m’man, il sera pas tard qu’on va finir par le savoir, répondit Bernadette.
Marie déplaça un rond du poêle et y jeta deux rondins avant de déposer la vieille théière. Le bruit suffit à faire sursauter sa belle-sœur.
— Depuis quand vous êtes installée là, ma tante ? lui demanda Bernadette.
— Autour de minuit, ma petite fille. J’ai jamais passé une nuit comme ça.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? fit Marie.
— Les saudits mulots sont revenus dans notre chambre, dit la religieuse avec une note de reproche dans la voix. J’ai jamais eue aussi peur de ma vie.
— Voyons, ma tante, ces petites bêtes-là vous auraient jamais mangée au complet dans une seule nuit.
— T’es bien drôle, ma petite bonyenne ! s’emporta sœur Marie du Rosaire en s’y reprenant à deux fois pour quitter sa chaise berçante tant elle était courbaturée.
— Et sœur Sainte-Anne ? Venez pas nous dire que vous avez laissé votre compagne toute seule avec les mulots, quand même.
— Pantoute, trancha Mathilde Beauchemin. Je l’ai réveillée quand je les ai entendus, mais elle a pas voulu me suivre, mentit-elle à peine.
— Mon Dieu ! s’écria Bernadette, l’air horrifiée. C’est bien effrayant, une affaire comme ça. On va bien retrouver juste quelques os et un bout de bonnet au fond du lit.
Les traits du visage de Mathilde Beauchemin s’étaient soudainement affaissés et elle se signa avec une ferveur assez belle à voir.
— Qui monte avec moi pour voir ce qu’il reste de sœur Sainte-Anne ? poursuivit l’institutrice, en s’efforçant de prendre un visage tragique.
— Bon, on va dire que ça va faire, intervint sèchement sa mère. Voyons, Mathilde, tu vois pas que Bedette dit n’importe quoi pour t’énerver.
Bernadette éclata de rire et eut juste le temps d’esquiver la gifle que lui destinait la religieuse.
— Si ça a de l’allure de faire peur au monde comme ça ! s’exclama-t-elle. J’espère au moins que tu vas t’en confesser, espèce d’haïssable !
Au même moment, la porte s’ouvrit sur la compagne de sœur Marie du
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