Au bord de la rivière T4 - Constant
exclue de la conversation, je pense que ce serait pas une mauvaise idée d’aller passer la fin de la semaine chez Armand. Quand on est parties dimanche, la pauvre Amanda avait pas l’air dans son assiette, prit-elle soin d’ajouter. Il faut être juste, elle aussi a besoin de notre aide avant qu’on retourne à l’orphelinat samedi prochain.
Les traits du visage de l’hôtesse se rembrunirent. À ses yeux, il fallait vraiment le toupet de sa belle-sœur pour oser prétendre qu’elle avait été d’une aide quelconque durant les trois jours passés sous son toit. Elle avait été une source d’ennuis et de besogne supplémentaire depuis qu’elle avait posé le pied dans la grande maison de pierre du rang Saint-Jean. Mais comment refuser l’hospitalité à l’unique sœur survivante de son défunt mari ?
— Te souviens-tu avoir déjà vu Amanda en santé depuis son mariage ? demanda-t-elle d’une voix acide.
— Pas souvent, reconnut volontiers la religieuse en tendant sa tasse à Eugénie pour qu’elle y verse du thé. Mais à ton âge, Marie, il me semble que tu devrais savoir depuis longtemps que c’est pas donné à tout le monde de pouvoir travailler du matin au soir sans être fatigué.
Marie eut un regard éloquent vers Eugénie qui lui tournait le dos.
— Ça, je le sais depuis longtemps, rétorqua-t-elle d’une voix cassante. Mais je sais aussi que c’est pas en passant son temps à se plaindre de toutes sortes de maladies imaginaires que t’arrives à faire ta besogne. En passant, Mathilde, es-tu bien certaine que c’est ton envie de rendre service à Amanda qui te pousse à retourner à Sainte-Monique aujourd’hui ?
— Qu’est-ce que tu veux que ce soit d’autre ?
— La peur des mulots, par exemple, répondit sa belle-sœur avec un sourire narquois.
— Ben non, voyons ! fit la religieuse avec une mauvaise foi assez évidente.
— Et quand aimeriez-vous qu’on aille vous reconduire ? fit Donat pour mettre fin à la discussion.
— Cet après-midi, ce serait pas mal.
— Bon, ma tante, aujourd’hui, j’avais prévu de fumer mon dernier champ. Là, je peux pas tout lâcher après le dîner pour aller vous conduire là-bas. Hubert, lui, vient de se payer une belle trotte depuis Dunham et il a certainement pas envie de reprendre le chemin.
La maîtresse de maison jeta un regard inquiet vers son fils aîné. Elle espérait qu’il n’allait pas l’obliger à supporter sa belle-sœur une journée ou deux de plus… Ç’aurait été plus qu’elle ne pouvait en endurer.
— Je pense que la meilleure idée est d’envoyer Ernest vous conduire chez mon oncle cet avant-midi, conclut le jeune cultivateur. Il est de bonne heure et vous allez avoir le temps d’arriver avec sœur Sainte-Anne pour dîner. Moi, je vais pouvoir m’avancer dans mon ouvrage et Hubert va avoir le temps de ranger ses affaires et même de venir me donner un coup de main. Qu’est-ce que vous en pensez ?
— C’est une bonne idée, reconnut sœur Marie du Rosaire qui semblait soudainement pressée de quitter le toit de son défunt frère.
Quelques minutes suffirent pour qu’Ernest attelle le Blond au boghei pendant que les deux religieuses allaient préparer leur léger bagage et faire un peu de toilette à l’étage.
— Mets-toi ça dans les oreilles, ordonna Marie à l’homme engagé en lui tendant deux petits tampons de ouate.
— Sinon tu risques de devenir fou avant d’arriver à Sainte-Monique, plaisanta Hubert en adressant un clin d’œil à l’adolescent qui venait de rentrer dans la maison pour annoncer que le boghei était prêt.
— Presse-toi pas pour revenir, lui conseilla Donat. On est déjà pas mal en avance dans notre ouvrage. Après tout, octobre arrive juste dans une semaine.
Les religieuses descendirent, chacune portant sa petite valise cartonnée. Mathilde Beauchemin s’empressa de remettre la sienne à Ernest tout en faisant signe à sa compagne de l’imiter. Marie eut droit à quelques maigres remerciements de la part de sa belle-sœur et il y eut échange de bons vœux avec promesse de revenir durant la période des fêtes, ce qui provoqua un raté du cœur de la maîtresse de maison. Cependant, il était dans la nature de la religieuse de décocher le coup de pied de l’âne avant de monter à bord du boghei qu’elle fit tanguer assez dangereusement en prenant place sur la banquette arrière aux côtés d’une sœur Sainte-Anne toujours
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