Au bord de la rivière T4 - Constant
traîner ses doigts à portée de pareilles dents. Ses yeux bruns blottis sous des sourcils noirs et touffus semblaient encore plus globuleux à cause des verres épais qu’il portait.
— L’abbé Farly a été choisi parce qu’il est bilingue. Il va être en mesure de prononcer les sermons aussi bien en anglais qu’en français.
— Quand pensez-vous être revenu, monsieur le curé ? lui demanda Hyland en prenant les notes de la réunion, comme il l’avait toujours fait.
— Avant la fin de septembre, se borna à répondre Josaphat Désilets. Après ma retraite, j’ai l’intention d’aller passer quelques jours chez de la parenté.
— Les chanceux, murmura Ellis assez fort pour que Donat Beauchemin l’entende.
L’abbé Farly se contenta de saluer les hommes présents d’un bref signe de tête accompagné d’un « Bonsoir, messieurs ».
— J’aimerais que vous soyez pas trop détestables avec votre curé remplaçant, conclut Josaphat Désilets, tentant de faire preuve d’humour.
— Il y a pas de danger, monsieur le curé, rétorqua Donat. Habituellement, c’est le contraire qui arrive à Saint-Bernard.
Il y eut quelques ricanements autour de la table et le prêtre piqua un fard en jetant un regard meurtrier au plus jeune membre du conseil.
— Un autre point, fit le curé de Saint-Bernard, l’air nettement moins aimable. J’ai entendu dire que certains d’entre vous avez affirmé au cordonnier que les souliers neufs de votre pasteur devaient être payés sur sa cassette personnelle.
Tout en parlant, il ne quittait pas Donat du regard, mais ce dernier semblait insensible à cette attention.
— C’est la première fois depuis mon ordination que je suis obligé de faire une telle dépense, prit-il soin d’ajouter d’une voix amère. Et vous, l’abbé ? demanda-t-il à Conrad Farly. Payez-vous pour faire réparer vos souliers ?
— Toujours, monsieur le curé, laissa tomber son jeune confrère.
Le visage de Josaphat Désilets s’assombrit et il lui fallut quelques instants avant de soulever ce qu’il appela son dernier point.
— Je suppose que personne parmi vous autres en a entendu parler, mais le conseil de la paroisse Notre-Dame de Trois-Rivières a décidé de faire avancer plus vite la construction de sa nouvelle église. Leur vieille église a une petite cloche qui conviendra pas à la belle qu’ils sont en train de construire. La fabrique a pas l’air de manquer d’argent.
— Et ? demanda Valiquette, qui sentait bien où le prêtre voulait en venir.
— J’ai pensé que Saint-Bernard pourrait faire une offre pour cette vieille cloche. Elle coûtera sûrement pas cher et on serait attelés comme du monde.
— Pour ça, monsieur le curé, il faut de l’argent, et on n’en a toujours pas, intervint Hormidas, une main posée contre son œil enflé.
— Quand on veut, on peut, déclara tout net le curé, l’air pontifiant.
— Une cloche, monsieur le curé, ça se paie pas avec des prières, intervint le président. On est endettés jusqu’aux yeux. Le mieux que je peux vous promettre, c’est qu’on va y penser pendant votre retraite. Dieu va peut-être nous indiquer un moyen, ajouta le notaire avec l’air de ne pas trop y croire.
Ce soir-là, la cuisine de Marie Beauchemin s’était progressivement remplie d’invités. Emma et Rémi Lafond étaient arrivés peu après le souper en compagnie de leurs trois enfants. Ils furent suivis de près par Xavier, Catherine et la petite Constance.
Comme d’habitude, il ne fallut que quelques minutes avant que sœur Marie du Rosaire occupe à elle seule toute la conversation. Rémi et Xavier, agacés par cette voix de stentor, jugèrent préférable de se retirer au bout de la cuisine pour pouvoir discuter de l’avancement de leurs travaux d’automne sur leur terre.
— Avez-vous vu ça ? demanda la sœur Grise en montrant son voile et son rabat assez maladroitement reprisés. Ça, c’est la besogne des mulots, la nuit passée.
— Inquiète-toi donc pas, fit Marie. Ta communauté est capable de t’en offrir des neufs.
— Tu sauras, Marie, qu’on est bien pauvres.
— Laisse faire, Mathilde, rétorqua Marie Beauchemin. J’ai jamais entendu dire qu’une communauté avait de l’argent même si on voit bien que ses religieuses ont tout ce qu’il faut.
— Le pire, intervint Bernadette, moqueuse et hors de propos, c’est que m’man et ma tante ont passé une bonne partie de
Weitere Kostenlose Bücher