Au Coeur Du Troisième Reich
compromise, étant donné la situation de nos armes, nous pourrions un jour les construire. Encore une fois cette nuit-là, le rêve était devenu réalité, encore une fois nous nous étions abandonnés à nos visions optimistes.
Le lendemain matin, je fus tiré d’un profond sommeil par la sonnerie du téléphone. J’entendis au bout du fil la voix bouleversée du D r Brandt : « Le D r Todt vient de mourir dans un accident, son avion s’est écrasé au sol ! » Cette minute allait changer toute ma vie.
Ces dernières années, entre le D r Todt et moi, les liens s’étaient notablement resserrés. En lui je perdais un confrère plein de maturité et de sagesse. Nous étions liés par de nombreux points communs : tous deux originaires du pays de Bade, issus de familles aisées et bourgeoises, nous avions l’un comme l’autre fait des études techniques supérieures. Nous aimions la nature, la vie dans les refuges de montagne, les randonnées à ski – et nous éprouvions une égale antipathie à l’égard de Bormann. Todt avait déjà eu avec ce dernier de sérieux démêlés, parce que le secrétaire de Hitler faisait construire sur l’Obersalzberg des routes qui défiguraient les paysages. Nous avions été, ma femme et moi, reçus plusieurs fois chez les Todt : ils habitaient une petite maison modeste, située à l’écart, non loin du lac Hintersee, dans les environs de Berchtesgaden ; personne n’aurait soupçonné qu’elle était la demeure du célèbre créateur des autoroutes.
Le D r Todt était l’un des rares membres de ce gouvernement qui fût d’un naturel modeste et discret ; c’était un homme sur qui l’on pouvait compter, avec lui on n’avait pas à craindre les intrigues. Il se distinguait par un mélange de sensibilité et de froide lucidité, comme cela est fréquent chez les techniciens, de sorte qu’il détonnait plutôt parmi les dirigeants de l’État national-socialiste. Il menait une vie solitaire, retirée, n’avait pas de contacts personnels avec les cercles du parti – et ses apparitions à la table de Hitler, où il aurait pourtant été le bienvenu, étaient extrêmement rares. Or cette réserve, précisément, lui valait un prestige considérable : dès qu’il arrivait quelque part, il était le pôle d’attraction vers qui convergeait l’intérêt général. Hitler lui-même avait pour lui et ses travaux une considération qui touchait presque à la vénération ; Todt, en revanche, avait toujours préservé, à l’égard de Hitler, son indépendance personnelle, bien qu’il fût un fidèle camarade du parti et cela depuis les premières années.
En janvier 1941, j’avais eu des démêlés avec Bormann et Giessler ; Todt m’écrivit alors une lettre dans laquelle, parlant à cœur ouvert, il ne cachait pas ses sentiments désabusés vis-à-vis des procédés en usage dans les sphères dirigeantes du national-socialisme : « En vous livrant ma propre expérience et les amères déceptions que m’ont causées tous ceux avec lesquels, en fait, nous devrions travailler la main dans la main, j’aurais peut-être pu vous aider à considérer que vos propres problèmes sont liés aux circonstances ; peut-être auriez-vous pu tirer quelque réconfort de la position que je me suis forgée peu à peu, à savoir que, dans une conjoncture de cette importance, toute activité se heurte à une opposition, tout homme qui agit doit compter avec des rivaux, voire des adversaires : ce n’est pas que les êtres veuillent se combattre, mais la nature des tâches à accomplir et les circonstances les amènent à adopter des points de vue différents. Peut-être avez-vous choisi, vous qui êtes encore jeune, une meilleure façon de vous affranchir de toutes les difficultés avec lesquelles je me débats moi-même 3 . »
Pendant le petit-déjeuner, au mess du quartier général du Führer, les discussions allèrent bon train : on se demandait qui pouvait bien succéder au D r Todt. Tout le monde s’accordait à dire qu’il était irremplaçable ; à lui seul il cumulait en effet les fonctions de trois ministres ; il était, avec rang de ministre, directeur général des Ponts et Chaussées, il avait la haute main sur toutes les voies navigables, les rivières, les systèmes d’irrigation, les centrales électriques ; en outre il était ministre chargé de l’approvisionnement de l’armée de terre en armements et en munitions ; dans
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