Au Coeur Du Troisième Reich
Bormann, Goebbels, Ley et Sauckel me le firent payer. Je dus en appeler à Hitler et l’avertir dans une lettre que je ne me sentais pas capable de poursuivre mon travail avec succès si on prétendait le juger en fonction de critères politiques 1 5 .
Les employés de mon ministère sans appartenance politique jouissaient d’une protection juridique qui, dans l’État de Hitler, était assez insolite. En effet, dès les premiers temps de mon ministère, j’avais fait adopter, malgré l’opposition du ministre de la Justice, une disposition selon laquelle toute personne coupable d’avoir porté préjudice à l’armement ne pourrait être poursuivie en justice que sur ma demande 16 . Cette disposition protégea mes collaborateurs même après le 20 juillet 1944. Lorsque Bûcher, directeur de la Compagnie générale d’électricité (A.E.G.), Vögler, directeur des Aciéries réunies, et Reusch, directeur de l’entreprise sidérurgique Gutehoffnungshütte, furent accusés d’avoir tenu des propos « défaitistes », le chef de la Gestapo, Ernst Kaltenbrunner, s’en remit à moi pour décider s’il fallait entamer des poursuites contre eux. Je fis alors observer que notre travail nous obligeait à parler de la situation avec une grande franchise et j’évitai ainsi aux trois directeurs d’être arrêtés. En revanche, de lourdes peines étaient prévues pour le cas où nos collaborateurs abuseraient de la confiance qui était la base de notre système : ils pouvaient par exemple falsifier les chiffres, que nous ne contrôlions plus, pour stocker des matières premières importantes : cela revenait à priver le front d’armements 17 .
Notre gigantesque organisation resta toujours, à mes yeux, une construction provisoire. Moi-même j’avais la ferme intention de me consacrer de nouveau à l’architecture dès que la guerre serait terminée et j’avais voulu que Hitler m’en garantisse la possibilité. De la même façon, je pensais qu’il était légitime d’apaiser les craintes des industriels et de leur donner l’assurance que cette organisation n’existait que pour répondre aux nécessités de la guerre. On ne pouvait à mon avis exiger des entreprises qu’elles renoncent en temps de paix à leurs hommes les plus compétents, ni qu’elles mettent leurs techniques au service des entreprises concurrentes 1 8 .
Solution provisoire, notre organisation était également un système où l’improvisation jouait un grand rôle et je tenais à ce qu’elle conserve ce caractère. J’étais consterné à l’idée que les méthodes bureaucratiques puissent s’introduire dans ma propre création. Je ne cessais d’exhorter mes collaborateurs à ne pas établir de documents, à régler les questions verbalement ou par téléphone, directement et sans formalités, bref à éviter à tout prix de constituer des « dossiers », pour reprendre le jargon administratif. Les raids aériens menés sur les villes allemandes nous contraignirent aussi à improviser continuellement. Parfois même je trouvais qu’ils avaient du bon, comme en témoigne l’humour avec lequel je réagis lorsque, le 22 novembre 1943, un raid aérien détruisit mon ministère : « Nous avons eu la chance, déclarai-je, de voir brûler avec le ministère une bonne partie desdossiers en cours, ainsi nous sommes débarrassés pour un temps d’un fardeau inutile ; mais nous ne pouvons tout de même pas compter sur des incidents de ce genre pour faire régulièrement place nette dans notre travail 19 . »
En dépit de tous les progrès qui avaient été réalisés dans le domaine technique et dans l’industrie, notre production d’armements, à l’époque des plus grands succès militaires, en 1940 et en 1941, était encore inférieure à celle de la Première Guerre mondiale. Durant la première année de la campagne de Russie, la production de canons et de munitions ne dépassa pas le quart de la production de l’automne 1918. Trois ans plus tard, au printemps 1944, alors même que, grâce au succès de nos méthodes, nous n’étions pas loin de notre production maximum, notre production de munitions était encore inférieure à celle de la Première Guerre mondiale, c’est-à-dire à celle de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie réunies 20 .
Parmi les causes de ce retard, j’ai toujours pensé qu’il y a eu la prolifération de la bureaucratie, contre
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