Au Coeur Du Troisième Reich
projets ; les Reichsleiter et les Gauleiter jouissaient d’un pouvoir absolu, je ne pouvais donc exercer aucun contrôle à ce sujet et rarement opposer un veto, dont on n’aurait, de toute façon, pas tenu compte. En été 1944, Hitler et Bormann n’hésitaient pas à notifier à leur ministre de l’Armement qu’il n’avait pas à demander à un fabricant de cadres de tableaux de Munich de travailler pour la production de guerre. Quelques mois plus tôt ils avaient déjà personnellement ordonné que soient exemptées de travailler pour l’armement les « fabriques de tapisseries et autres productions artistiques analogues », qui fabriquaient des tapis et des tapisseries destinées aux édifices que Hitler voulait construire après la guerre 5 .
Après neuf années de présence au pouvoir, les dirigeants étaient si corrompus que, même durant la phase critique de la guerre, ils furent incapables de renoncer au train de vie dispendieux auquel ils étaient habitués. A tous il fallait de vastes maisons, des manoirs de chasse, des propriétés, des châteaux, un personnel nombreux, une table copieusement garnie, une cave choisie : c’était les « obligations imposées par leur rang 6 ». De plus ils avaient la hantise de leur sécurité personnelle, c’était une véritable obsession qui tournait au ridicule. A commencer par Hitler : en quelque endroit qu’il séjournât, la première chose qu’il ordonnait était de construire des bunkers pour sa sécurité ; ces abris avaient des toits dont l’épaisseur augmenta en même temps que le calibre des bombes, pour atteindre cinq mètres. Pour finir il y avait des bunkers très complexes à Rastenburg, à Berlin, sur l’Obersalzberg, à Munich, dans la résidence voisine de Salzburg, au quartier général de Nauheim, à celui de la Somme ; en 1944, Hitler fit construire en Silésie et en Thuringe deux quartiers généraux souterrains, creusés dans la montagne : pour ces travaux on dut faire appel à des centaines de techniciens des mines et à des milliers d’ouvriers 7 .
La peur notoire de Hitler et la très haute opinion qu’il avait de sa personne furent pour les hommes de son entourage un excellent prétexte pour n’épargner aucun moyen d’assurer leur protection personnelle. Göring fit construire un vaste abri souterrain non seulement à Karinhall, mais aussi dans son château de Veldenstein, perdu dans les environs de Nuremberg, et où il n’allait presque jamais 8 . La route de Berlin à Karinhall, longue de 70 kilomètres, était bordée de forêts solitaires ; le long de cette route, à distances régulières, on dut lui bâtir des abris bétonnés. Ley, qui possédait un bunker à Grunewald, une ville de banlieue peu menacée, observait un jour l’effet produit par une bombe lourde qui avait traversé le toit d’un abri public : sa seule préoccupation était l’épaisseur du toit de son bunker personnel par rapport à celui-ci. D’autres bunkers furent d’ailleurs construits à l’extérieur des villes pour les Gauleiter, et cela sur l’ordre de Hitler, qui était persuadé que ces hommes étaient irremplaçables.
Les premières semaines, j’eus à faire face à toute une série de problèmes urgents, mais celui dont la solution pressait le plus était le problème de la main-d’œuvre. Un soir, vers le milieu du mois de mars, alors que je visitais l’une des plus importantes usines d’armement de Berlin, la Rhein-metall-Borsig, je m’aperçus que les salles étaient certes équipées d’excellentes machines, mais que celles-ci étaient arrêtées parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’ouvriers pour constituer une seconde équipe. Il en allait de même dans d’autres usines d’armement. De plus, il fallait compter pendant la journée avec des difficultés d’alimentation en courant électrique, alors que le soir et la nuit le réseau était beaucoup moins sollicité. Comme on construisait à la même époque de nouvelles usines, représentant un investissement d’environ 11 milliards de marks, et qu’elles allaient forcément manquer de machines-outils, il me parut plus logique de suspendre la plus grande partie des nouvelles constructions et d’utiliser la main-d’œuvre ainsi disponible pour constituer des équipes de roulement.
Hitler se montra certes sensible à la logique de cette argumentation et signa un décret aux termes duquel le volume des investissements destinés à
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