Au Coeur Du Troisième Reich
que, par manque de combustible, il n’était plus possible de distribuer de la nourriture chaude aux troupes qui combattaient dans les ruines ou les champs de neige par une température très inférieure à 0°. Hitler restait calme, impassible, inébranlable, comme s’il avait voulu montrer que l’émotion de Zeitzler n’était que la psychose du danger : « La contre-attaque que j’ai ordonnée et qui doit partir du sud vabientôt permettre de dégager Stalingrad ; la situation sera alors rétablie. Des situations comme celle-là, nous en avons connu souvent. Nous avons toujours fini par reprendre les choses en main. » Il décréta qu’il fallait dès maintenant acheminer, derrière les troupes qui étaient en marche pour mener la contre-offensive, des trains chargés de vivres et de renforts qui serviraient à débloquer Stalingrad et à soulager les troupes en détresse. Zeitzler objecta, sans être interrompu par Hitler, que les forces destinées à mener la contre-offensive étaient trop faibles. Mais, continua-t-il, si la VI e armée réussissait une sortie vers l’ouest et opérait sa jonction avec l’armée de secours, elle serait en mesure de reconstituer de nouvelles positions plus au sud. Hitler développa des arguments contraires, mais Zeitzler ne cédait pas. La discussion dura plus d’une demi-heure, jusqu’au moment où Hitler finit par perdre patience : « Il faut absolument tenir Stalingrad. Il le faut, c’est une position clé. Si nous pouvons interrompre à cet endroit le trafic sur la Volga, nous causerons aux Russes les pires difficultés. Comment pourront-ils transporter leurs céréales du sud vers le nord de la Russie ? » Cela n’était pas très convaincant ; j’avais plutôt le sentiment que Stalingrad avait pour lui valeur de symbole. Mais après cette explication, Hitler mit un terme à l’entretien.
Le lendemain la situation s’était encore dégradée ; les adjurations de Zeitzler se faisaient plus pressantes, l’atmosphère dans la salle des conférences était angoissante, Hitler lui-même avait l’air épuisé et démoralisé. Lui aussi en vint à parler à un moment d’opérer une sortie. Une nouvelle fois, il fit calculer combien de tonnes de vivres par jour étaient nécessaires pour maintenir les soldats, qui étaient plus de 200 000, en état de combattre.
Vingt-quatre heures plus tard le sort des armées encerclées était définitivement scellé. En effet, dans la salle des conférences, on vit arriver Göring, fringant et rayonnant comme un ténor d’opérette dans le rôle d’un maréchal victorieux. Déprimé, Hitler lui demanda d’une voix suppliante, où perçait le ton de la prière : « Où en est-on avec le ravitaillement de Stalingrad par avion ? » Göring rectifia la position et déclara sur un ton solennel : « Mon Führer, la VI e armée sera ravitaillée par avion, j’en réponds personnellement. Vous pouvez compter sur moi ! » En fait, comme je l’appris par la suite de la bouche de Milch, l’état-major général de la Luftwaffe avait calculé qu’il était impossible de ravitailler la poche de Stalingrad. Zeitzler exprima lui aussi immédiatement son incrédulité. Mais Göring lui déclara brutalement que les calculs nécessités par cette opération regardaient uniquement la Luftwaffe. Hitler, qui était souvent si scrupuleux quand il s’agissait d’établir des études chiffrées, ne prit même pas la peine ce jour-là de se faire expliquer comment on pouvait fournir les avions nécessaires. Les paroles de Göring avaient suffi à le rasséréner et à lui faire retrouver sa détermination : « Alors nous resterons à Stalingrad ! il est absurde de continuer à parler d’une sortie de la VI e armée. Elle perdrait tout son armement lourd et son potentiel de combat. La VI e armée reste à Stalingrad 11 »
Bien que Göring n’ignorât pas que le sort de la VI e armée enfermée à Stalingrad était lié à la parole qu’il avait donnée, il nous invita à assister, le 12 décembre 1942, à l’occasion de la réouverture de l’Opéra de Berlin 12 , à une représentation de gala des Maîtres chanteurs de Nuremberg, de Richard Wagner. En uniformes d’apparat et en habits, nous nous installâmes dans la grande loge du Führer. L’atmosphère heureuse de la pièce offrait un contraste si cruel avec les événements du front, que je me suis longtemps reproché d’avoir accepté cette
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