Au Coeur Du Troisième Reich
Sports.
Toujours est-il que le discours de Goebbels sur la guerre totale fut suivi d’une mesure que l’opinion publique accueillit avec satisfaction : il fit fermer les restaurants de luxe et les cabarets chic de Berlin. Göring se mit aussitôt en devoir de protéger son restaurant préféré, le Horcher, mais lorsqu’une poignée de manifestants appelés par Goebbels arrivèrent et s’apprêtèrent à enfoncer les fenêtres du restaurant, Göring n’insista pas. Il en résulta une sérieuse brouille entre Goebbels et lui.
Après son discours au Palais des Sports, Goebbels reçut ce soir-là, dans le palace qu’il s’était fait construire peu avant le début de la guerre tout près de la porte de Brandebourg, plusieurs personnages importants, parmi lesquels se trouvaient le Feldmarschall Milch, Thierack, le ministre de la Justice, Stuckart, qui était secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur, ainsi que Funk, Ley et le secrétaire d’État Körner. Pour la première fois, on discuta d’un projet sur lequel Milch et moi-même avions amené la conversation : il s’agissait de tirer parti des pleins pouvoirs que Göring détenait en tant que « président du Conseil des ministres pour la défense du Reich », pour durcir la politique intérieure du pays.
Neuf jours plus tard, Goebbels nous invita de nouveau, Funk, Ley et moi-même, à lui rendre visite chez lui. L’énorme bâtisse richement aménagée faisait maintenant une lugubre impression. Pour donner le bon exemple dans l’action entreprise en vue de la « guerre totale », Goebbels avait fait fermer les grands salons de réception et ôter la plupart des ampoules électriques dans les autres salles. Nous fûmes introduits dans l’une des pièces plus petites, qui mesurait environ quarante à cinquante mètres carrés. Des valets de chambre en livrée nous servirent du cognac français et du thé, sur quoi Goebbels leur intima l’ordre de ne plus nous déranger. « Cela ne peut pas continuer ainsi, déclara-t-il pour commencer. Nous, nous sommes cantonnés ici à Berlin, Hitler ignore ce que nous pensons de la situation, j’ai perdu toute influence politique sur lui, je ne peux même pas lui soumettre les mesures les plus urgentes qui s’imposent dans le cadre de mes attributions. Tout passe par Bormann. Il faut persuader Hitler de venir plus souvent à Berlin. » La politique intérieure, continua Goebbels, avait complètement échappé à son contrôle, elle était sous la mainmise de Bormann, qui savait entretenir chez Hitler le sentiment qu’il continuait à gouverner. Bormann n’était qu’un arriviste et un doctrinaire, qui pouvait gravement compromettre une politique rationnelle. La première chose à faire était de juguler son influence.
D’une manière tout à fait contraire à ses habitudes, Goebbels, dans ses critiques, ne fit pas d’exception pour Hitler lui-même : « Il n’y a pas qu’une crise dans la conduite des affaires, mais bel et bien une crise du Führer 5 ! » 48 Goebbels, en politicien-né, ne pouvait concevoir que Hitler eût pu délaisser la politique, l’instrument essentiel du pouvoir, pour prendre en charge la direction des opérations militaires sur les différents fronts, tâche secondaire, au fond, aux yeux de Goebbels. Nous qui écoutions Goebbels, nous ne pouvions faire davantage que l’approuver ; aucun d’entre nous n’avait une influence politique comparable à la sienne. Ses critiques mettaient en lumière les répercussions réelles du désastre de Stalingrad : Goebbels avait commencé à douter de l’étoile de Hitler et, du même coup, de la victoire – et nous avec lui.
Je renouvelai ma proposition de mobiliser Göring pour qu’il assume le rôle qu’on avait prévu pour lui au commencement de la guerre. On disposait là d’une institution juridique investie des pleins pouvoirs, habilitée à promulguer des lois sans l’intervention de Hitler. On pouvait se servir d’elle pour battre en brèche la position de force usurpée par Bormann et Lammers. Ceux-ci seraient obligés de s’incliner devant cette instance, dont seule l’apathie de Göring n’avait pas permis d’exploiter les possibilités. Toutefois comme Goebbels et Göring étaient en froid 6 à cause de l’incident du restaurant Horcher, mes partenaires me demandèrent de parler moi-même de cette question à Göring.
Que notre choix ait pu se porter sur cet homme, qui depuis
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