Au Coeur Du Troisième Reich
Goebbels et moi n’en faisions pas encore partie, ce qui, soit dit en passant, révélait l’inanité de cette institution. Nous devions donc désormais en être membres. On s’accorda aussi sur la nécessité de remplacer Ribbentrop ; il fallait que le ministre des Affaires étrangères sache convaincre Hitler de mener une politique rationnelle. Or Ribbentrop était un simple instrument au service de Hitler, incapable par conséquent de trouver une solution politique à l’impasse où nous nous trouvions sur le plan militaire.
S’échauffant de plus en plus, Goebbels poursuivit : « Sur le compte de Lammers, le Führer se trompe tout autant que sur Ribbentrop ! » Göring bondit : « Celui-là, il n’a pas cessé de me tirer dans les jambes avec ses interventions continuelles. Mais maintenant nous allons mettre bon ordre à tout cela ! c’est moi qui m’en charge, messieurs ! » Goebbels prenait visiblement plaisir à voir Göring en colère, et s’appliquait à l’aiguillonner, tout en craignant en même temps l’impulsivité du Reichsmarschall qui, en matière de tactique, était plutôt maladroit : « Vous pouvez y compter, monsieur Göring, nous allons dessiller les yeux du Führer au sujet de Bormann et de Lammers. Mais il ne faut pas y aller trop fort, nous ne devons pas nous emballer. Vous connaissez le Führer. » Puis, devenant plus circonspect, il ajouta : « Nous ne devons sous aucun prétexte dévoiler nos batteries devant les autres membres du Conseil. Il ne faut absolument pas qu’ils sachent que nous voulons petit à petit faire sauter le comité des trois. Nous avons simplement conclu un pacte de fidélité au Führer. Nous n’avons pas d’ambitions personnelles. Mais si chacun de nous parle au Führer en faveur des autres, nous aurons une position plus forte que n’importe qui, et nous pourrons former autour du Führer un solide rempart. »
En repartant, Goebbels était très satisfait : « L’affaire prend tournure. Vous ne trouvez pas que Göring revit ? » Effectivement, au cours des dernières années, je n’avais jamais vu le Reichsmarschall manifester autant d’allant, de décision et d’intrépidité. Avec Göring je fis ensuite une longue promenade dans les sites paisibles de l’Obersalzberg. La conversation porta sur Bormann et les voies qu’il suivait. J’expliquai très franchement à Göring que Bormann n’ambitionnait rien de moins que la succession de Hitler et qu’il ne reculerait devant aucun moyen pour nous desservir auprès de Hitler et nous évincer, non seulement lui Göring, mais aussi tous les autres. Je lui racontai qu’actuellement déjà, Bormann ne manquait aucune occasion de saper le crédit du Reichsmarschall. Göring avait écouté avec une attention de plus en plus aiguisée. Je continuai alors en lui parlant des moments où nous étions réunis autour de Hitler à l’Obersalzberg pour prendre le thé, réunions dont lui Göring était exclu. C’est là que j’avais pu observer sur le vif la tactique de Bormann.
Il n’attaquait jamais de front, mais procédait par insinuations prudentes, glissant dans le fil de la conversation des allusions à des faits minimes qui par leur accumulation finissaient par produire tout leur effet. Ainsi, pour porter préjudice à Schirach, Bormann relatait sur son compte, à l’heure du thé par exemple, des anecdotes fâcheuses en provenance de Vienne, tout en se gardant soigneusement d’abonder dans le sens de Hitler, lorsque celui-ci marquait sa désapprobation. Au contraire, il lui paraissait plus judicieux de parleraussitôt de Schirach en termes élogieux, éloge qui bien sûr ne pouvait manquer d’avoir pour Hitler un arrière-goût amer. Au bout d’un an à peu près, Bormann avait tant et si bien fait, que Schirach était tombé en disgrâce et que Hitler le traita plus d’une fois avec une véritable hargne. Bormann put alors – lorsque Hitler n’était pas là – aller plus loin dans l’arrogance et déclarer, dans un jugement apparemment inoffensif mais en réalité implacable, que Schirach avait bien sa place à Vienne, puisque aussi bien tout le monde y intriguait contre tout le monde. Voilà comment Bormann s’y prendrait pour ruiner son crédit, déclarai-je à Göring pour conclure.
Pour Bormann ce n’était évidemment pas bien difficile, car sur bien des points, Göring prêtait le flanc à la critique. Goebbels lui-même évoqua ces jours-là avec un brin
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