Au Coeur Du Troisième Reich
voulut connaître mille détails ; leurs réflexions enfantines, les jeux qu’ils préféraient, les observations souvent pertinentes qu’ils faisaient. Cette nuit-là encore, tout cela délassa Hitler et lui fit oublier ses soucis.
Si Goebbels sut y faire pour encenser l’amour-propre de Hitler en évoquant les crises de l’époque héroïque et la manière dont il les avait surmontées, s’il sut flatter la vanité du Führer, que l’objectivité des militaires laissait passablement insatisfaite, Hitler, pour ne pas demeurer en reste, flatta lui aussi l’amour-propre de son ministre de la Propagande en vantant ses réussites. Sous le III e Reich, on donnait volontiers dans le panégyrique, on se décernait sans lésiner des brevets de capacité.
Goebbels et moi étions convenus, malgré l’incertitude de notre démarche, de faire part ce soir-là à Hitler, ne fût-ce que par allusions, de nos projets visant à stimuler l’activité du « Conseil des ministres pour la défense du Reich ». Le sujet qui nous tenait à cœur aurait pu apparaître à Hitler comme une critique indirecte de sa gestiondes affaires et le vexer, mais un climat propice avait été créé, le moment nous parut favorable, lorsqu’on vint annoncer à Hitler une nouvelle qui mit brusquement fin à l’atmosphère idyllique de cette soirée passée devant le feu dans la cheminée : Nuremberg subissait au même moment une violente attaque aérienne. Comme s’il avait flairé nos intentions, mais peut-être aussi mis en garde par Bormann, Hitler nous fit une scène comme j’en ai rarement vue. Il donna l’ordre d’aller immédiatement tirer de son lit le général Bodenschatz, le premier aide de camp de Göring, qu’il agonisa de reproches furieux dirigés contre « le Reichsmarschall, cet incapable ». Goebbels et moi tentâmes de calmer Hitler, qui finit effectivement par se radoucir. Mais tous nos travaux d’approche étaient devenus inutiles, Goebbels jugea comme moi plus prudent de ne rien dire sur ce qui nous tenait à cœur. D’ailleurs, après les nombreux témoignages de satisfaction que venait de lui décerner Hitler, Goebbels eut le sentiment que sa cote politique avait sensiblement remonté. Il cessa désormais de parler d’une « crise du Führer » et sembla au contraire avoir retrouvé ce soir-là son ancienne confiance en Hitler. Il décida néanmoins qu’il fallait poursuivre le combat contre Bormann.
Le 17 mars eut lieu chez Göring, dans son palace berlinois de la Leipziger Platz, une réunion à laquelle furent conviés Goebbels, Funk, Ley et moi-même. Göring nous reçut dans son bureau, l’accueil fut d’abord tout à fait protocolaire : Göring trônait sur un fauteuil Renaissance derrière un bureau de proportions monumentales. Nous étions assis en face de lui sur des chaises inconfortables. La cordialité qu’il avait manifestée lors de notre entretien à Obersalzberg avait disparu, on aurait presque dit que Göring regrettait après coup sa spontanéité.
Mais bientôt, renchérissant une nouvelle fois l’un sur l’autre, Göring et Goebbels – les autres assistaient à la discussion presque sans rien dire – se mirent à brosser un tableau des dangers qui émanaient du triumvirat ; se berçant d’espoirs et d’illusions, ils envisagèrent les possibilités qui s’offraient à nous de tirer Hitler de son isolement. Goebbels paraissait avoir complètement oublié comment Hitler avait rabaissé Göring quelques jours plus tôt. Tous deux croyaient déjà avoir partie gagnée. Göring, passant comme toujours par des alternatives d’exaltation et d’apathie, minimisait déjà l’influence de la maffia du quartier général : « Il ne faut tout de même pas les surestimer, monsieur Goebbels ! après tout Bormann et Keitel ne sont que les secrétaires du Führer. Il ne faut pas qu’ils se croient tout permis ! Réduits à eux-mêmes, ce ne sont que des nullités ! » Quant à Goebbels, ce qui semblait l’inquiéter le plus était que Bormann pût utiliser son autorité directe sur les Gauleiter, pour s’assurer des appuis à l’intérieur du Reich afin de contrecarrer notre action. Je me souviens encore que Goebbels essaya de mobiliser Ley, qui était le chef de l’organisation politique du parti, contre Bormann, et finit par proposer que le Conseil des ministres pour la défense du Reich fût investi du droit de faire comparaître les Gauleiter et de leur demander
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