Au Coeur Du Troisième Reich
de pompage des mines en utilisant la ligne à haute tension qui n’avait pas été endommagée. Je fus d’accord avec cette proposition comme avec celle d’un commandant de corps qui voulait fournir du courant à Liège pour approvisionner les hôpitaux militaires et civils, maintenant que le tracé du front séparait la ville de ses sources de courant électrique.
Quelques semaines plus tard, à partir de la mi-septembre, je dus prendre une décision sur le sort qui serait réservé à l’industrie allemande. Naturellement les dirigeants de l’industrie se refusaient à laisser détruire leurs usines ; fait surprenant, quelques-uns des Gauleiter des territoires menacés se rangèrent à cet avis. Ainsi commença une phase curieuse. Au cours de conversations toutes en sous-entendus, parsemées de traquenards et de portes de sortie, chacun sondait les intentions de son partenaire, des complicités s’échafaudaient, ou bien on se livrait à son interlocuteur en s’ouvrant à lui.
Prenant mes précautions pour le cas où Hitler aurait été informé de ce que des destructions n’avaient pas été effectuées dans les zones allemandes du front, je l’avisai, dans le compte rendu du voyage d’inspection que je venais de faire du 10 au 14 septembre, que nous pouvions encore atteindre une production relativement importante dans les territoires situés immédiatement derrière le front. Pour faire croire à Hitler que mes propositions étaient fondées, je lui citai des exemples : s’il se trouvait à Aix-la-Chapelle une usine produisant quatre millions de cartouches par mois, il semblait opportun de la laisser continuer à fabriquer ces munitions pour les besoins immédiats de l’infanterie jusqu’au dernier moment, même si la ville était prise sous le feu de l’artillerie ennemie. Il ne semblait pas indiqué de stopper le travail des cokeries d’Aix-la-Chapelle si leurs réserves de charbon leur permettaient comme jusqu’à maintenant d’assurer l’approvisionnement en gaz de Cologne et si, par la même occasion, elles pouvaient produire quelques tonnes de benzol par jour pour la troupe. De même, vouloir arrêter la production des centrales électriques situées à proximité immédiate du front était une erreur, l’ensemble des installations des postes et donc aussi les liaisons téléphoniques de l’armée étant tributaires de ces centrales sur un territoire très étendu. Me référant à d’anciennes décisions de Hitler, je lis parvenir en même temps aux Gauleiter un message leur enjoignant de veiller à ce que les installations industrielles ne soient pas endommagées 12 .
Soudain tout sembla à nouveau remis en question. Car, à mon retour à Berlin, Liebel, le directeur de l’administration centrale de mon ministère, m’accueillit dans notre maison de Wannsee réservée aux ingénieurs en visite, et il m’informa que pendant mon voyage des ordres importants de Hitler avaient été adressés à tous les ministères. D’après ces ordres, le principe de la « terre brûlée » devait être appliqué impitoyablement sur tout le territoire allemand.
Nous nous allongeâmes sur une des pelouses du jardin de cette villa de Wannsee, ne fût-ce que pour être à l’abri des oreilles indiscrètes. C’était une belle journée ensoleillée de la fin de l’été, devant nous des voiliers glissaient sur le lac. Résumant les ordres de Hitler, Liebel me dit qu’aucun Allemand ne devait être autorisé à habiter dans les territoires occupés par l’ennemi. Quiconque resterait se verrait condamné à dépérir dans un désert où toute civilisation serait anéantie. On devait détruire totalement non seulement les installations industrielles, les centrales électriques, les usines à gaz, les usines de distribution d’eau, le téléphone, mais également tout ce qui était nécessaire au maintien de la vie : les documents permettant d’établir les cartes d’alimentation, les dossiers d’état civil, les déclarations de résidence, les intitulés des comptes bancaires ; on devait en outre détruire les stocks de vivres, brûler les fermes et abattre le bétail. Des œuvres d’art elles-mêmes, que les bombardements avaient épargnées, rien ne devait subsister. Les monuments, les palais, les châteaux forts et les églises, les théâtres et les opéras étaient voués à la destruction. Sur l’ordre de Hitler, un éditorial avait paru quelques jours plus tôt, le
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