Au Coeur Du Troisième Reich
autour de Karinhall et l’envoya au front au sud de Berlin.
A cette époque, un officier SS de haut rang m’indiqua que Himmler préparait des démarches décisives. En février 1945, le Reichsführer SS avait pris le commandement du groupe d’armées de la Vistule, mais il avait été tout aussi peu en mesure de stopper la progression des Russes que ses prédécesseurs. Hitler lui adressait à lui aussi de violents reproches. Ainsi le prestige personnel qu’il avait conservé fut perdu au bout de quelques semaines de commandement seulement.
Pourtant Himmler était encore craint de tout le monde et je me sentis mal à l’aise lorsque mon aide de camp m’informa un jour que le Reichsführer SS s’était annoncé pour venir me voir le soir-même. C’était la première fois qu’il venait chez moi. Mon inquiétude augmenta encore lorsque le nouveau directeur de notreadministration centrale, Hupfauer, avec qui j’avais parlé ouvertement à plusieurs reprises, m’annonça qu’à la même heure Kaltenbrunner, le chef de la Gestapo, se trouverait chez lui.
Avant l’entrée de Himmler, mon aide de camp me chuchota : « Il est seul. » Mon bureau n’avait plus de vitres, nous ne les faisions plus remplacer, car de toute façon elles étaient soufflées régulièrement au bout de quelques jours. Une misérable bougie était posée sur la table, le courant électrique étant coupé. Revêtu de nos manteaux, nous restâmes assis l’un en face de l’autre. Il parla de sujets sans importance, se renseigna sur des détails futiles, puis il aborda la situation au front et émit alors cette platitude : « Lorsqu’on descend, monsieur Speer, il y a toujours le fond de la vallée et, lorsque ce fond est atteint, le chemin remonte. » Mais comme je n’approuvais ni ne contredisais cette philosophie simpliste et que je me contentais de répondre par monosyllabes, il prit bientôt congé. Je n’ai jamais pu savoir ce qu’il attendait de moi et pourquoi Kaltenbrunner se trouvait en même temps chez Hupfauer. Peut-être avaient-ils entendu parler de mon attitude critique et voulaient-ils nouer des contacts. Peut-être voulaient-ils simplement nous sonder.
Le 14 février, je proposai dans une lettre au ministre des Finances « de confisquer au profit du Reich le montant total de l’accroissement des fortunes personnelles qui depuis 1933 était considérable. » Cette mesure devait contribuer à stabiliser le mark, dont la valeur marchande n’était maintenue péniblement qu’au prix de mesures de coercition et s’effondrerait dès la fin de cette coercition. Lorsque le ministre des Finances, le comte Schwerin-Krosigk, expliqua mon projet à Goebbels, il se heurta à une résistance éloquente du ministre qui aurait été durement frappé par une telle mesure.
Une autre idée me vint à l’époque, tout aussi chimérique : elle est révélatrice de ce monde de sentiments romantiques et utopiques dans lequel je me complaisais. A la fin du mois de janvier, je discutai avec Werner Naumann, le secrétaire d’État au ministère de la Propagande, en termes très prudents et mesurés du caractère désespéré de la situation. Un hasard nous avait réunis dans l’abri du ministère. Admettant que Goebbels était capable de comprendre la situation et d’en tirer les conséquences, j’émis vaguement l’idée que nous pouvions hâter nous-mêmes le dénouement : j’imaginais une démarche commune du gouvernement, du parti et des commandants en chef. Sous la direction de Hitler, une proclamation serait publiée selon laquelle les dirigeants du Reich se déclaraient disposés à s’en remettre volontairement à l’ennemi si, en contrepartie, des conditions supportables étaient accordées au peuple allemand pour lui permettre de continuer à vivre. Des réminiscences historiques, le souvenir de Napoléon qui s’était livré aux Anglais après la défaite de Waterloo, des thèmes wagnériens de sacrifice et de rachat jouaient un rôle dans cette idée quelque peu théâtrale – heureusement, elle ne se réalisera jamais.
Parmi mes collaborateurs de l’industrie, le D r Lüschen, le directeur de l’industrie électrique, membre du conseil d’administration et directeur du bureau d’études du konzern Siemens, était très lié avec moi. Ce septuagénaire, dont j’aimais qu’il me parle de son expérience, voyait venir des temps difficiles pour le peuple allemand, mais ne doutait pas de son
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