Au Coeur Du Troisième Reich
redressement final.
A la fin février, Lüschen me rendit visite dans mon petit appartement situé dans l’arrière-corps de mon ministère de la Postdamer Platz, il tira une feuille de sa serviette et me la tendit en disant : « Savez-vous quelle est la phrase de Mein Kampf que les gens citent le plus dans la rue ? »
« "Une diplomatie doit veiller à ce qu’un peuple ne périsse pas héroïquement, mais à ce que ses conditions pratiques d’existence soient maintenues. Toute voie menant à ce but est alors utile et le fait de ne pas l’emprunter doit être considéré comme un crime dû à l’oubli du devoir". » Lüschen poursuivit en disant qu’il avait trouvé une deuxième citation adéquate et il me la tendit : « Il ne peut y avoir d’autorité conçue comme un but en soi, car sinon toute tyrannie serait inattaquable et justifiée. Si un peuple est mené à sa perte par les moyens dont dispose l’autorité qui le gouverne, la rébellion de chacun des membres d’un tel peuple constitue non seulement un droit, mais un devoir 14 . »
Lüschen prit congé sans dire un mot et me laissa seul avec la feuille. Je fis les cent pas, tout agité. Là se trouvait exprimé par Hitler lui-même ce vers quoi je tendais dans les mois derniers. Il n’y avait qu’une conclusion : Hitler était coupable – même si on jugeait son attitude selon son propre programme politique – de haute trahison à l’égard de son propre peuple qui s’était sacrifié pour ses buts et à qui il devait tout ; plus, en tout cas, que je ne devais moi-même à Hitler.
Cette nuit-là je pris la décision de supprimer Hitler. Certes, mes préparatifs en étaient encore à leurs tout premiers rudiments et sont donc un tant soit peu ridicules. Mais ils fournissent un témoignage significatif sur le caractère du régime et sur les déformations du caractère de ses acteurs. Aujourd’hui encore je frémis en pensant où ce régime m’avait conduit, moi qui jadis ne voulais être rien d’autre que l’architecte de Hitler. Parfois encore j’avais l’occasion d’être assis en face de lui, je feuilletais même avec lui ses vieux projets de constructions dans le même temps où je réfléchissais aux moyens de me procurer le gaz toxique avec lequel je voulais éliminer cet homme qui m’estimait toujours en dépit de tous les désaccords, et qui avait plus d’indulgence pour moi que pour toute autre personne. Pendant des années j’avais vécu dans son entourage, pour qui une vie humaine n’avait aucune importance ; mais j’avais eu l’impression que cela ne me concernait pas. Maintenant je m’apercevais que ces expériences n’avaient pas été sans laisser de traces. Non seulement j’étais prisinextricablement dans ce maquis de tromperies, d’intrigues, de bassesses, de gens prêts à tuer, mais je faisais moi-même partie de ce monde perverti. Pendant douze années, j’avais vécu au milieu d’assassins sans trop me poser de questions ; maintenant, alors que le régime déclinait, c’était justement Hitler qui me fournissait l’argument moral justifiant un attentat contre lui.
Göring m’a tourné en dérision au cours du procès de Nuremberg en me traitant d’autre Brutus. Un certain nombre d’accusés m’ont adressé le reproche suivant : « Vous avez violé le serment que vous aviez prêté au Führer. » Mais la référence au serment prêté n’avait aucune valeur et n’était rien d’autre qu’une tentative de se soustraire au devoir que nous avons tous de nous sentir responsables. Si ce n’est rien d’autre que cela, Hitler les avait privés lui-même de cet argument fallacieux comme il m’en avait privé en février 1945.
Lors de mes promenades dans le parc de la Chancellerie du Reich, j’avais remarqué la cheminée d’aération du bunker de Hitler. La bouche d’aération était placée au ras du sol, recouverte d’une mince grille, au milieu d’un petit buisson. L’air aspiré traversait un filtre. Mais, comme tous les filtres, il n’avait aucune efficacité contre notre gaz toxique, le tabun.
Le hasard me mit en contact avec le directeur de notre production de munitions, Dieter Stahl. Il devait répondre devant la Gestapo d’une déclaration défaitiste sur la fin imminente de la guerre ; il me pria de l’aider à échapper à une procédure. Comme je connaissais bien Stürtz, le Gauleiter du Brandebourg j’avait réussi à régler cette affaire dans un
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