Au Coeur Du Troisième Reich
faisait 180 mètres de plus que les thermes de Caracalla à Rome, presque le double.
Sans se hâter, Hitler examina d’abord la maquette en plâtre sous tous les angles, prenant en homme du métier la bonne perspective. Ensuite, il étudia les plans sans mot dire et sans laisser rien paraître. Je pensais déjà qu’il allait refuser mon travail, Alors, tout comme lors de notre première rencontre, il eut un bref « D’accord » et prit congé. Aujourd’hui encore, je ne comprends pas très bien pourquoi lui, qui avait un faible pour les longues déclarations, se montrait si avare de mots en de telles occasions.
Les autres architectes voyaient presque toujours leur premier projet refusé, car Hitler aimait faire retravailler plusieurs fois une commande et exigeait même des changements de détails pendant les travaux. Moi, il me laissa tranquille, une fois établie cette première preuve de mon savoir-faire ; dès ce moment-là, il respecta mes idées et me traita en tant qu’architecte sur un pied d’égalité.
Hitler aimait à expliquer qu’il construisait pour léguer à la postérité le génie de son époque. Car, en fin de compte, seuls les grands monuments rappelaient les grandes époques de l’histoire. Que restait-il de l’œuvre des empereurs romains ? Quels étaient les vestiges de leur grandeur, sinon les édifices qu’ils avaient fait construire ? Il y a toujours, prétendait-il, des périodes de déclin dans l’histoire d’un peuple ; mais les monuments qu’il a édifiés sont alors les témoins de son ancienne puissance. Naturellement, leur seul témoignage ne suffit pas à créer les bases d’un renouveau du sentiment national. Mais quand, après une longue période de déclin, le sentiment de la grandeur nationale doit être à nouveau exalté, alors ces monuments ancestraux sont les plus éloquents des prédicateurs. C’est ainsi que les monuments de l’Empire romain permettaient à Mussolini de faire appel à l’esprit héroïque de Rome, quand il voulait gagner le peuple italien à l’idée d’un empire romain des temps modernes. De la même manière, nos édifices devaient pouvoir, dans les siècles à venir, parler à la conscience de l’Allemagne. C’est ce qui faisait pour Hitler la valeur d’une réalisation durable.
On commença sans tarder l’aménagement de l’esplanade de Nuremberg, car on voulait achever au moins la tribune pour le prochain Congrès du parti. Pour pouvoir construire la nouvelle tribune, il fallut déplacer le dépôt de tramways, dont on dynamita ensuite les hangars en béton armé. Un jour que je passai devant, je vis un fouillis métallique pendant dans tous les sens et commençant à rouiller. On pouvait aisément imaginer ce que cela allait devenir. Ce lamentable spectacle fut le point de départ d’une réflexion qui m’amena à élaborer une théorie que je présentai plus tard à Hitler sous le nom quelque peu prétentieux de « Théorie de la valeur des ruines d’un édifice ». Des édifices construits selon les techniques modernes étaient sans aucun doute peu appropriés à jeter vers les générations futures ce « pont de la tradition » qu’exigeait Hitler. Il était impensable que des amas de décombres rouillés puissent inspirer, un jour, des pensées héroïques comme le faisaient si bien ces monuments du passé que Hitler admirait tant. C’est à ce dilemme que ma théorie voulait répondre. En utilisant certains matériaux ou en respectant certaines règles de physique statique, on pourrait construire des édifices qui, après des centaines ou, comme nous aimions à le croire, des milliers d’années, ressembleraient à peu près aux modèles romains 3 .
Pour donner à mes pensées une forme concrète et visible, je fis réaliser une planche dans le style romantique représentant la tribune de l’esplanade Zeppelin après des siècles d’abandon : recouverte de lierre, la masse principale du mur effondrée par endroits, des pilastres renversés, elle était encore clairement reconnaissable dans ses contours généraux. Dans l’entourage de Hitler on tint ce dessin pour « blasphématoire ». Le seul fait d’avoir imaginé une période de déclin pour ce Reich à peine fondé et qui devait durer mille ans fut considéré par beaucoup comme scandaleux. Hitler, pourtant, trouva cette réflexion d’une logique lumineuse. Il donna l’ordre qu’à l’avenir, les édifices les plus importants de son
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