Au Coeur Du Troisième Reich
hôtel où nous avions trouvé un vieux vin rouge français et à jouir encore quelque temps du calme de la région quand, le soir, on m’appela au téléphone. Je m’étais imaginé être, dans ce coin retiré, à l’abri des appels téléphoniques des aides de camp de Hitler, d’autant que personne ne connaissait notre itinéraire. Cependant la police française avait, pour des raisons de sécurité et de surveillance, suivi notre voyage ; en tout cas elle put, à la demande d’Obersalzberg, immédiatement indiquer où nous nous trouvions. C’était Brückner qui était à l’appareil. « Le Führer vous fait dire de revenir pour demain midi. » Comme je lui objectais que le retour prendrait deux jours et demi, il me répondit : « Il y a ici demain après-midi une séance de travail et le Führer exige que vous soyez présent. » J’essayai encore une fois de protester faiblement. « Un instant… le Führer sait où vous êtes, mais demain il faut que vous soyez ici. » J’étais malheureux, furieux et désemparé. Le pilote de Hitler, à qui je téléphonai, m’apprit que l’avion personnel de Hitler ne pouvait pas se poser en France. Mais il me promit de me trouver une place dans un transport allemand qui, venant d’Afrique, ferait escale à Marseille le lendemain matin à six heures. L’avion personnel de Hitler viendrait alors me chercher à Stuttgart pour me déposer ensuite à Ainring, l’aérodrome le plus proche de Berchtesgaden.
Nous nous mîmes en route pour Marseille dans la nuit, contemplâmes quelques minutes, à la lueur de la lune, les monuments romains d’Arles, qui avaient été le véritable but de notre voyage, et arrivâmes à deux heures du matin dans un hôtel de Marseille. Trois heures plus tard, je me rendais à l’aéroport, et l’après-midi, comme on m’en avait donné l’ordre, je paraissais devant Hitler qui me dit : « Ah ! monsieur Speer, je suisvraiment désolé ! J’ai repoussé la réunion. Je voulais connaître votre avis sur un pont suspendu près de Hambourg. » Le D r Todt avait eu l’intention de lui soumettre le projet d’un pont qui devait surpasser le Golden Gate Bridge de San Francisco. Mais comme on ne devait commencer les travaux de ce pont que dans les années 40, Hitler aurait très bien pu m’accorder encore une semaine de vacances.
Une autre fois, je m’étais réfugié avec ma femme sur la Zugspitze, quand l’appel habituel de l’aide de camp me parvint : « Le Führer vous fait dire de venir. Demain midi à l’Osteria, pour le déjeuner. » Il coupa court à mes objections par un « Non, c’est urgent ! » A l’Osteria, Hitler me salua d’un « Mais c’est bien, ça, d’être venu déjeuner. Quoi, on vous a dit de venir ? J’ai seulement demandé hier : où est donc Speer ? Mais vous savez, c’est bien fait pour vous. Pourquoi faut-il que vous alliez faire du ski ? »
Von Neurath, lui, était moins docile. Un jour, Hitler ordonna à son aide de camp tard dans la |soirée : « Je voudrais parler au ministre des Affaires étrangères » ; il reçut la réponse suivante : « Le ministre des Affaires étrangères du Reich est déjà parti se reposer. – On n’a qu’à le réveiller, je veux lui parler. » Nouveau coup de téléphone ; confus, l’aide de camp revient : « M. le ministre des Affaires étrangères du Reich fait dire qu’il sera demain matin de bonne heure à votre disposition, mais que, maintenant, il est fatigué et voudrait dormir. »
Une telle détermination faisait céder Hitler, mais sa mauvaise humeur ne durait pas que le reste de la soirée ; il n’oubliait jamais de tels mouvements d’indépendance et prenait sa revanche à la première occasion.
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43 . G. B. I. : initiales de Generalbauinspektor (Inspecteur général de la Construction). (N. D. T.)
7.
Obersalzberg
Tout homme au pouvoir, qu’il soit directeur d’une entreprise, chef d’un gouvernement ou maître absolu d’une dictature, doit soutenir une lutte continuelle. Sa fonction fait en effet apparaître sa faveur si désirable, que la volonté de l’obtenir peut corrompre ses subordonnés. Mais ceux-ci ne courent pas seulement le danger de se dégrader à n’être plus que des courtisans, ils sont également soumis à la tentation permanente de corrompre à son tour le maître lui-même.
La façon dont les puissants réagissent à la pression constante de leurs courtisans est révélatrice
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