Au Coeur Du Troisième Reich
partie arrière de la pièce surélevée de trois marches ; l’autre, à proximité de la fenêtre, entourait une table ronde dont le plateau en bois plaqué était protégé par une plaque de verre. Derrière ce groupe-ci, se trouvait la cabine de projection dont une tapisserie cachait les ouvertures ; contre le mur d’en face, s’appuyait un large buffet dans lequel étaient incorporés des haut-parleurs et sur lequel il y avait un grand buste en bronze de Wagner par Arno Breker. Au-dessus de ce meuble, une autre tapisserie cachait l’écran. D’assez grandes peintures à l’huile couvraient les murs : une dame à la poitrine dénudée attribuée à l’élève du Titien, Bordone ; un nu couché très pittoresque, qu’on disait être du Titien lui-même ; de Feuerbach, une version très réussie de la Nana, un paysage du jeune Spitzweg, des ruines romaines de Pannini et, chose étonnante, une espèce de retable du peintre nazaréen Eduard von Steinle, représentant le roi Henri, le bâtisseur de villes ; aucun Grützner. De temps à autre, Hitler faisait remarquer qu’il avait payé ses tableaux de ses propres deniers.
Nous prenions place près de la fenêtre, sur le canapé ou dans les fauteuils. On remontait les deux tapisseries et la deuxième partie de la soirée commençait par les mêmes films qui occupaient les soirées à Berlin. A la fin, nous nous réunissions tous autour de l’immense cheminée ; six ou huit d’entre nous occupaient, comme alignés sur un perchoir, un canapé trop long et trop bas, tandis que Hitler, à nouveau flanqué d’Eva Braun et de l’une deces dames, s’asseyait dans un confortable fauteuil. Le cercle que nous formions était, vu la disposition malheureuse des sièges, si allongé qu’aucune conversation générale ne pouvait s’engager. Chacun s’entretenait à mi-voix avec son voisin. Hitler disait à ses deux compagnes des choses sans importance ou conversait à voix basse avec Eva Braun, lui tenant parfois la main. Mais souvent il se taisait, regardant fixement le feu brûler dans la cheminée ; les invités arrêtaient alors de parler, pour ne pas le troubler dans ses profondes réflexions.
De temps à autre, on commentait les films, Hitler jugeant surtout les actrices, Eva Braun les acteurs. Personne n’essayait d’élever le niveau de la discussion en quittant ces papotages pour s’attacher, par exemple, à la mise en scène et à ses nouvelles formes d’expression. Il est vrai que les films que nous voyions ne pouvaient guère nous en donner l’occasion. Ce n’étaient que des films de pur divertissement. On ne projeta jamais, en tout cas pas en ma présence, les expériences des cinéastes contemporains, comme, par exemple, le film sur Michel-Ange de Curt Örtel. Parfois, Bormann saisissait l’occasion de rabaisser, sans avoir l’air d’y toucher, le prestige de Goebbels, responsable de la production cinématographique allemande. Il faisait ironiquement remarquer que Goebbels avait cherché des noises au film La Cruche brisée , sous prétexte qu’Emil Jannings l’aurait bafoué en l’incarnant dans le rôle d’Adam, le juge d’instruction boiteux. Hitler ayant pris beaucoup de plaisir au spectacle du film interdit, ordonna qu’on le reprît dans la plus grande salle de Berlin, reprise qui se fit attendre un bon moment, ce qui est caractéristique d’un manque d’autorité souvent étonnant de Hitler. Mais Bormann revint à la charge jusqu’à ce que Hitler se montrât sérieusement irrité et fît énergiquement expliquer à Goebbels qu’il devait obéir à ses ordres.
Plus tard, pendant la guerre, Hitler renonça à ces projections d’après-dîner car il voulait renoncer à sa distraction favorite par « sympathie pour les privations des soldats », comme il disait. A la place, on écoutait des disques. Mais, malgré une excellente collection de disques, les intérêts de Hitler allaient toujours à la même musique. Il n’avait de goût ni pour la musique baroque, ni pour la musique classique, ni pour la musique de chambre, ni pour la musique symphonique. En fait, et le programme devint vite immuable, il écoutait d’abord quelques morceaux de bravoure tirés d’opéras de Wagner, pour se précipiter ensuite sur les opérettes. Ça en restait là. Hitler mettait son point d’honneur à reconnaître les chanteuses, tout heureux quand il devinait juste, ce qui lui arrivait fréquemment.
Pour mettre un peu de vie
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