Au Coeur Du Troisième Reich
dans ces soirées quelque peu mornes, on servait du mousseux, remplacé après l’occupation de la France par un Champagne de mauvaise qualité ; les meilleures marques, Göring et ses généraux de l’armée de l’Air se les étaient appropriées. Après une heure du matin, nous ne pouvions plus, les uns et les autres, nous empêcher, malgré tous nos efforts, d’étouffer un bâillement. Mais la soirée, épuisante d’inanité et de monotonie, s’étirait encore une bonne heure, jusqu’au moment, enfin, où Eva Braun, après quelques mots échangés avec Hitler, avait la permission de se retirer. Hitler lui-même ne se levait et ne prenait congé qu’un quart d’heure plus tard. A ces heures qui nous avaient comme paralysés, succédait alors une réunion détendue, où ceux qui restaient se retrouvaient autour d’un verre de mousseux ou de cognac.
Toutes les nuits, très régulièrement, nous rentrions chez nous, à deux heures du matin, morts de fatigue, fatigués par notre désœuvrement. Au bout de quelques jours, j’avais ce que j’appelais la « maladie de la montagne », c’est-à-dire que je me sentais épuisé, littéralement vidé par cette façon de perdre son temps. Les seuls moments où je pouvais aller retrouver mes collaborateurs pour me pencher à nouveau sur nos projets, étaient ceux où des conférences venaient interrompre l’oisiveté de Hitler. La faveur d’être un invité permanent et d’habiter l’Obersalzberg m’interdisait, bien qu’il m’en coûtât, de me soustraire à ces soirées sans paraître impoli. Le chef du Service de presse, le D r Dietrich, osa s’absenter quelques fois pour assister à des représentations du Festival de Salzbourg, mais il s’attira la colère de Hitler. En cas de longs séjours, la seule solution, si on ne voulait pas trop négliger son travail, restait la fuite pour Berlin.
Quelquefois, d’anciens amis de Munich ou de Berlin, Schwarz, Goebbels, Hermann Esser, venaient nous rendre visite. Il faut toutefois noter que ces visites étaient peu fréquentes et qu’elles ne duraient en général qu’un ou deux jours. Hess également, qui aurait eu toutes les raisons de venir endiguer par sa présence l’activité de son adjoint, ne fit que deux ou trois apparitions. Même les collaborateurs les plus proches, ceux qu’on rencontrait si souvent aux déjeuners de la Chancellerie, évitaient visiblement l’Obersalzberg. Leur défection nous frappait d’autant plus que Hitler était tout joyeux de les voir, les invitant à venir se reposer plus souvent et plus longtemps. Mais ces hommes, devenus eux-mêmes le centre de cercles d’amis dévoués, ne pouvaient que se sentir gênés de devoir se plier à un emploi du temps totalement différent et aux manières peu engageantes d’un Hitler sûr de soi. Les vieux combattants, qui auraient, eux, accepté d’enthousiasme une invitation au Berghof, étaient tout aussi indésirables ici qu’à Munich.
Quand les visiteurs étaient de vieux militants, Eva Braun avait la permission de rester, mais elle devait se retirer dès que des ministres ou autres dignitaires du Reich prenaient part au repas. Même quand c’étaient Göring et sa femme, Eva Braun devait rester dans sa chambre. Manifestement, Hitler ne la considérait comme présentable que dans certaines limites.
Parfois, je lui tenais compagnie en son exil, une chambre à côté de la chambre à coucher de Hitler. Elle était alors si intimidée qu’elle n’osait pas sortir de la maison pour aller se promener : « C’est que je pourrais rencontrer les Göring dans le couloir », disait-elle.
De toute façon, Hitler faisait peu de cas de sa présence. Sans se gêner le moins du monde, il exposait devant elle son point de vue sur la femme : « Les hommes très intelligents doivent prendre une femme primitive et bête. Vous me voyez avec une femme mettant le nez dans mes affaires ! A mes heures de loisir, je veux la paix… De toute façon, je ne pourrais jamais me marier. Quels problèmes si j’avais des enfants ! Ils finiraient bien par faire de mon fils mon successeur. En plus, un homme comme moi n’a aucune chance d’avoir un fils capable. C’est presque toujours comme ça, dans ces cas-là. Regardez le fils de Goethe, un incapable ! De nombreuses femmes tiennent à moi parce que je ne suis pas marié. Le célibat était pourtant essentiel dans les années de lutte. C’est la même chose pour un acteur de cinéma,
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