Au Coeur Du Troisième Reich
j’aurais dû tout naturellement tirer du peu que je savais. Ceux qui me posent ces questions attendent de moi au fond que je me justifie. Mais je n’écris pas mon apologie.
C’est le 9 janvier 1939 que la nouvelle Chancellerie devait être terminée. Le 7 janvier, Hitler arriva de Munich. Il vint plein d’impatience, s’attendant visiblement à trouver une cohue d’artisans et de brigades de nettoiement. Chacun connaît la hâte fébrile avec laquelle, juste avant la livraison d’un bâtiment, on démonte les échafaudages, on enlève poussière et détritus, on déroule les tapis et on pend les tableaux. Mais Hitler s’était trompé. Nous nous étions, dès le départ, réservé une marge de quelques jours dont nous n’eûmes pas besoin, étant prêts quarante-huit heures avant la date fixée. Lorsque Hitler parcourut le bâtiment, il aurait pu s’asseoir à sa table de travail et commencer à régler les affaires de l’État.
Le bâtiment l’impressionna beaucoup. Il ne tarit pas d’éloges sur l’ « architecte génial », le faisant, contrairement à son habitude, en ma présence. Mais réussir à terminer deux jours avant l’heure dite me fit la réputation d’un grand organisateur.
Ce qui plut surtout à Hitler, ce fut le long chemin que les hôtes officiels et les diplomates devraient faire avant d’arriver à la pièce de réception. Il ne partagea pas mes scrupules concernant le sol en marbre poli, que je pensais devoir recouvrir d’un tapis. « C’est très bien ainsi, me dit-il, les diplomates doivent savoir se mouvoir sur un sol glissant. »
La salle de réception était trop petite à son goût. Il donna l’ordre de l’agrandir du triple. Au début de la guerre, les plans de cet agrandissement étaient prêts. Son bureau, en revanche, eut sa pleine approbation. Ce qui le réjouit surtout, ce fut une marqueterie ornant sa table de travail et représentant une épée à moitié dégainée : « Très bien, très bien, dit-il, quand les diplomates assis à la table devant moi verront cela, ils apprendront à avoir peur. » Dans leurs panneaux dorés surmontant les quatre portes de la pièce, les quatre vertus : « la Sagesse », « la Circonspection », « la Bravoure » et « la Justice » laissaient tomber sur lui leur regard. Je ne sais pas comment l’idée m’en était venue. Deux sculptures d’Arno Breker flanquaient, dans la salle ronde, le portail donnant sur la grande galerie, l’une représentant « le Hardi », l’autre « le Sage 10 ». Cette pathétique indication de mon ami Breker rappelant la nécessité de la réflexion avant chaque coup d’audace, comme ma propre composition allégorique invitant à cultiver les trois autres vertus autant que le courage, témoignaient d’un optimisme naïf quant à la portée des recommandations des artistes, mais elles montraient en même temps que nous ne laissions pas d’éprouver une certaine inquiétude devant les périls qui menaçaient tout ce que nous avions atteint.
Une grande table au lourd plateau de marbre se trouvait à côté de la fenêtre. D’abord sans utilité, elle servit à partir de 1944 aux conférences d’état-major. On y étala ces cartes militaires qui ne montraient plus que la rapide progression des adversaires occidentaux et orientaux envahissant le Reich allemand. C’est ici que Hitler tint ses dernières conférences militaires, à la surface de la terre du moins ; les suivantes se tinrent à 150 mètres de distance, sous plusieurs mètres de béton. La salle du Conseil des ministres qui, elle, pour d’évidentes raisons d’acoustique, possédait un revêtement de bois, lui plut également, mais il ne s’en servit jamais pour les réunions du Conseil. Plus d’un ministre me pria d’obtenir de Hitler qu’il puisse voir « sa » salle au moins une fois. Hitler le permettait toujours, aussi, de temps en temps, un ministre venait-il en silence, contempler la place qu’il n’avait jamais occupée, marquée d’un grand portefeuille de cuir bleu portant son nom gravé en lettres d’or.
Pour tenir les délais, on avait embauché quatre mille cinq cents ouvriers qu’on fit travailler en équipes de jour et en équipes de nuit. Il fallait y ajouter, dispersés à travers le pays, les quelques milliers d’ouvriers et d’artisans ayant fabriqué divers éléments. Eux tous, tailleurs de pierre, menuisiers, maçons, plombiers et autres artisans, furent
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