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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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voyiez rien, comme si vous n’entendiez rien.” Et si la même situation survenait maintenant, dit-il, ils feraient de même. Le mieux avec des voyous, c’est de les ignorer. »
    Berek Rojzman quitta l’école à quinze ans pour travailler avec son père. Il rencontra sa première femme à dix-sept ans et il ne se maria qu’à vingt-huit ans. Les gens en Pologne, peu familiarisés sans doute avec cette forme de journalisme concernant les événements en question, se montraient déroutés quand je les interrogeais sur autre chose que les horreurs qu’ils avaient vécues, quand j’ai demandé à Berek Rojzman quels avaient été ses rapports avec sa fiancée pendant tout ce temps, il a souri timidement et il a répondu par une plaisanterie. Mais finalement, il m’a laissé comprendre que c’était quasiment platonique. Si leurs fiançailles ont été si longues, c’est que « ma mère est morte et j’ai dû aider mon père auprès de mes sœurs et de mes frères plus jeunes ».
    Je fis remarquer, au cours de la conversation, que la famille semblait très robuste. Il acquiesça. « Ma grand-mère vivait seule à quinze kilomètres de chez nous. À cent quinze ans, elle est venue nous voir à pied pour boire un verre. Quand elle a eu fini de boire, elle a refusé de se faire reconduire en voiture et elle a dit qu’elle repartait comme elle était venue. À plusieurs reprises nous lui avons proposé de venir vivre avec nous. Mais Babka disait non, qu’elle ne voulait pas, qu’elle nous dérangerait. Elle devait avoir cent vingt ou cent vingt et un ans quand elle est morte, habitant toujours à quinze kilomètres, de chez nous, toujours seule. »
    Enfin marié en 1938, Berek a continué à travailler pour son père pendant un an, puis il a monté sa propre boutique dans la banlieue de Varsovie. Dans la Pologne d’avant-guerre, il était rare que des Juifs aient des amis non juifs sauf dans la haute société et dans le monde artistique et littéraire. Mais les jeunes Rojzman avaient un couple d’amis « polonais ». « C’était, dit Berek Rojzman, des gens éclairés ; ils croyaient en Dieu et pensaient, comme nous, que Dieu est Dieu quel que soit celui qui le prie. Ma femme a été tuée par les Allemands à Treblinka. Le mari de cette amie a été tué par les Allemands à Varsovie. Après la guerre, elle et moi nous nous sommes retrouvés et nous nous sommes mariés. »
    Berek avait rejoint l’armée le 24 août 1939 et, durant le peu de temps qu’il a été militaire, avant d’être fait prisonnier par les Allemands, il a servi comme ambulancier. De toute évidence, il était un de ces soldats qui ne sont jamais en peine, et sur qui l’on peut toujours compter, utilisant son énorme puissance physique et son astuce pour améliorer le sort de ses camarades, de ses officiers et évidemment le sien. Il aime blaguer. « Quand on m’envoyait en patrouille, dit-il, j’emmenais toujours avec moi de la nourriture et de la vodka et je m’arrangeais toujours pour rapporter quelque extra aux officiers. Je leur donnais de la force pour combattre ! »
    Quand il est rentré après s’être évadé d’un camp de prisonniers, les Allemands lui interdirent de rouvrir sa boutique. « Je travaillais clandestinement », dit-il.
    Fin 1939, au moment où les Allemands décrétèrent que tous les Juifs de Varsovie devaient se regrouper dans le ghetto, la famille Rojzman pensa que rester avec le grand nombre serait une protection ; et qu’au cœur de cette ville dans la ville, l’existence pourrait être relativement organisée, avec des maisons, du travail, des hôpitaux et de l’aide pour les vieux et par-dessus tout, des écoles pour les enfants. Ils ont acheté un appartement dans le ghetto et toute la famille s’est installée. Berek et son père ont ouvert une boucherie.
    Il y eut une sorte d’interlude de quelques mois quand un propriétaire terrien polonais, Janusz Rogulski les installa dans une fermette de son domaine. (« T’avais des tas de relations à la campagne, bien sûr, me dit Berek, mais celui-là était vraiment bon et voulait nous aider. Nous pouvions vivre là ; il ne nous demandait même pas de travailler. ») Au printemps de 1942, de retour à Varsovie, ils pensèrent trouver la sécurité dans une plus petite ville. Ils partirent par le train [ce que les Juifs n’avaient pas le droit de faire] puis à pied pour Biota Rawska où, à nouveau, ils achetèrent une

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