Au Fond Des Ténèbres
et de l’Intérieur de Vienne, je suis en mesure de confirmer que le certificat de Frau Stangl figure dans les archives de Wels à la date du 6 mai 1949, avec l’adresse qu’elle m’a indiquée et la mention Mann geflüchtet (mari évadé).
« J’ai demandé un visa pour la Syrie, poursuit-elle, et je n’ai rencontré aucune difficulté mais je ne me rappelle plus si c’est à Vienne ou à Linz que j’ai écrit. Je sais que ça s’est fait par le consulat suisse. Était-ce parce qu’il était chargé des intérêts syriens en Autriche ? Je l’ignore. En tout cas, le visa m’a été délivré à Wels et, le 4 ou le 6 mai, nous avons pris le train pour Gênes.
« Quand nous sommes arrivées, je me rappelle que les enfants n’en pouvaient plus, j’ai pris une chambre à L’Excelsior, près de la gare, et je les ai couchées. Le bateau devait partir le lendemain matin, mais la compagnie m’a avisée qu’il aurait du retard pour cause de réparations et qu’on ne partirait pas avant quatre jours. Il ne me restait plus d’argent ; le peu que je possédais avait tout juste suffi pour nous amener jusqu’au bateau ; et comme Paul avait payé d’avance notre traversée je pensais qu’il ne me faudrait plus d’argent liquide. La nuit à l’hôtel, le dîner et le petit déjeuner allaient m’ôter ce qui me restait et voilà que ça ne suffisait pas. Il fallait absolument faire quelque chose. Évidemment avec ces années passées à Florence jadis, je parlais couramment l’italien ; alors j’ai eu l’idée d’aller à la gare me proposer comme interprète à un groupe d’Allemands. Je les ai conduits à mon hôtel, je leur ai pris des chambres et j’ai passé les trois jours suivants à leur montrer le pays. J’ai gagné de quoi payer notre séjour et j’ai même pu faire faire aux enfants un petit tour en bateau. Nous sommes enfin montées à bord et nous avons eu quatre journées de traversée vraiment belles – du repos et une bonne nourriture.
« Quand Paul est venu au-devant de nous à Damas, j’ai retrouvé l’homme heureux et tendre qu’il avait été autrefois avant toutes ces horreurs. Et c’est moi qui ai décidé de ne pas lui reparler de Treblinka. Je sentais qu’il fallait lui laisser retrouver la paix de l’âme ; toutes ces horribles choses étaient au passé et mes pensées désormais appartenaient à mes enfants, à notre vie de famille, à l’avenir.
« Durant toute l’année écoulée, Paul avait travaillé à l’usine textile où M gr Hudal lui avait trouvé un emploi. Mais juste après notre arrivée, le propriétaire de l’affaire est mort, l’entreprise a dégringolé et Paul s’est retrouvé sans emploi. Il y a eu un moment très dur. Il cherchait désespérément du travail, mais ça a pris beaucoup de temps. Et comme en attendant, il fallait vivre, je me suis mise à travailler comme masseuse ; heureusement ma formation à l’école du service social m’avait enseigné quelques éléments de ce qu’on appelle aujourd’hui la physiothérapie, c’était une chance. Bref, j’ai eu très vite quelques clientes, des femmes grosses, vous savez, je commençais généralement par la tête ; elles perdaient toutes leurs cheveux, alors je leur massais d’abord le crâne et je finissais aux doigts de pied.
« Les six premiers mois nous avons habité un appartement rue de Bagdad – pratiquement sans meubles parce que notre déménagement d’Autriche a mis très longtemps à nous parvenir. »
Plusieurs des livres traitant de la filière d’évasion des nazis signalent une adresse à Damas ; le 22 rue George Haddat. Après notre rencontre au Brésil, j’ai écrit a Frau Stangl pour lui demander si elle se souvenait de cette adresse. « Je ne suis pas sûre m’a-t-elle répondu, mais c’est peut-être bien l’endroit où nous avons habité à notre arrivée à Damas [137] . C’était une sorte de “pension” où se trouvaient d’autres Allemands mais je crois qu’ils utilisaient des pseudonymes car je ne me souviens d’eux que sous des noms comme “le Capitaine” ou “Lodz”. [L’information correspond dans une certaine mesure à la description donnée par Werner Brockdorff dans Flucht von Nürnberg du 22 rue George Haddat qu’il présente comme un foyer où étaient reçus les réfugiés à leur arrivée de Rome.]
« Au début de décembre 1949, poursuit Frau Stangl, la chance a tourné. Paul a trouvé un emploi
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