Au Fond Des Ténèbres
d’ingénieur mécanicien à l’Impérial Knitting Company ; grâce à Dieu il avait ses brevets. (Il semble qu’il avait suivi un cours allemand par correspondance en 1935, lorsqu’elle était à Florence et lui policier à Linz.)
« Il gagnait 500 livres syriennes par mois, un très bon salaire pour l’époque. Nos meubles étaient arrivés, nous avons déménagé dans un appartement plus grand, rue de Youssuff, dans le vieux Damas. C’était une maison ancienne merveilleuse ; avec nos affaires nous avons créé un vrai chez nous. »
[Elle m’écrivit plus tard : « Nous avons été la première famille allemande à avoir son chez-soi, et tous les Allemands venaient nous rendre visite [138] . »]
« J’ai adoré le Proche-Orient ; je passais tous mes moments de liberté dans les musées et je me suis même arrangée pour aller visiter les fouilles en Mésopotamie. Pour rien au monde je ne voudrais avoir manqué cette période. Ç’a été un temps heureux, mais au bout d’un an a surgi un problème extraordinaire : dans la maison que nous habitions les appartements sur la façade étaient ceux du chef de la police de Damas. Il y vivait avec son harem. Et voilà qu’il a commencé à s’intéresser beaucoup trop à Renate – notre fille cadette. Elle avait douze ans… » [Renate, née le 17 février 1937, avait en réalité quatorze ans. Erreur insignifiante mais qui dénote cependant chez Frau Stangl en dépit de toute son honnêteté, une légère tendance à dramatiser les faits.]
« Elle était toute blonde et très jolie et il ne la quittait littéralement pas des yeux, poursuit-elle. Renate pouvait faire tout ce qu’elle voulait ; elle n’avait jamais tort. Ça nous a paniqués. Que pouvions-nous faire, étrangers comme nous étions, s’il allait se mettre dans la tête qu’il la voulait. Quel espoir y avait-il de s’opposer au chef de la police ? Papa a déclaré qu’il fallait partir. Il m’a dit d’aller à Beyrouth faire le tour des consulats sud-américains – il n’y en avait pas à Damas – nous accepterions le premier visa qui nous serait offert. Bon, je suis partie aussitôt pour Beyrouth ; j’ai commencé par le Venezuela, puis le Brésil. Les Vénézuéliens étaient tout aussi gentils mais ils m’ont dit que la décision devait intervenir à Caracas et prendrait du temps. Le consul du Brésil m’a demandé tout de suite ce que Paul savait faire et quand j’ai dit qu’il était ingénieur mécanicien, il a voulu le voir. Dès mon retour, Paul est donc allé à Beyrouth. Nous avons eu très vite le visa – un mois plus tard, je crois.
« Quand nous l’avons reçu, je suis allée trouver le chef de la police pour lui dire que les Brésiliens nous offraient une chance exceptionnelle et que nous pensions que nous devions l’accepter. Nous étions assez inquiets de sa réaction, mais pour finir, il a pris la chose très gentiment, et nous sommes partis très peu de temps après ; dès que l’usine de Paul a pu trouver à le remplacer – par un Italien – deux mois plus tard.
« J’avais économisé 2 000 dollars ; nous avons revendu notre piano à un Arabe pour un peu plus de 900 livres syriennes et le mobilier des chambres à un Allemand qui venait d’épouser sa fiancée qu’il avait ramenée du pays. Paul a reçu de sa firme une gratification de départ : il avait très bien réussi et on lui a donné aussi un bon certificat. »
Elle m’a montré ce certificat, au nom de « Paul Adalbert Stangl ». Elle supposait qu’on avait confondu le nom du père et du fils à cause du laissez-passer de la Croix-Rouge qui portait : « Paul F. Stangl, fils d’Adalbert Stangl ». « Ils ne se souciaient pas trop de précision en matière de noms là-bas », remarqua-t-elle. Elle me dit qu’elle avait eu souvent entre les mains à Damas ce document de la Croix-Rouge. « C’était un livret blanc de six centimètres sur huit à peu près, avec une croix rouge sur la couverture et les indications à l’intérieur. » Les indications concernaient la nationalité, le nom des parents, de Stangl et la date de naissance d’elle-même et des enfants.
« Je n’ai plus revu ce passeport de la Croix-Rouge après qu’il eut demandé un reçu de laissez-passer [139] syrien ; il se peut qu’il ait dû le laisser à la Sûreté [140] mais je ne m’en souviens pas. »
Frau Stangl se rappelle que le voyage au Brésil leur a coûté
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