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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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d’autre en tête que la danse et le théâtre. Mais la direction m’a convoquée pour un entretien ; elle a dit qu’elle ne croyait pas tout cela et que j’allais passer des tests. C’étaient les premiers « tests » de ma vie, la première fois que j’entendais ce mot. Ça m’a pris toute une journée, mais j’ai franchi la barre et on m’a acceptée. Je suis entrée à l’école en mars 1930, j’y ai passé deux ans et je m’y suis beaucoup plu. On s’amusait énormément et on travaillait dur. C’étaient des études magnifiques.
    « Il y avait des cours d’obstétrique. Et un jour, à l’entrée de la clinique gynécologique de Linz, mon amie Anna Vockenhuber m’a présenté un bel homme, son cousin Franz. Dès que je l’ai vu, je me suis dit : voilà quelqu’un qui me plaît. Son regard, ses manières, tout en lui me plaisait. Pourtant, quand nous avons commencé à parler, j’ai eu beau tomber amoureuse de lui, je crois qu’il y avait autant de pitié que d’amour dans mes sentiments : il m’a raconté son horrible enfance ; comme il avait été seul ; et le père terrible ; et sa jalousie pour son frère Wolfgang – c’était si triste.
    « À l’époque où j’ai fait sa connaissance, il réussissait déjà très bien dans la police et j’étais éblouie de le voir travailler si dur. Nous nous sommes beaucoup vus. Dès qu’il avait un moment libre, il montait à Riesenhof [son école à elle]. Nous allions au concert, au théâtre, dans les brasseries. Ç’a été une période splendide.
    « Quand j’ai eu mon diplôme, la directrice m’a convoquée pour me dire que la famille du prince Corsini à Florance cherchait une gouvernante et qu’elle ne voyait personne d’autre à recommander aussi chaudement que moi. Est-ce que j’accepterais ? J’en ai donc parlé à Paul – je l’ai toujours appelé Paul – et il a été très secoué. Mais je me disais : nous ne pouvons pas nous marier encore et il faut bien que je fasse quelque chose. Je reconnais aussi que Florence me tentait beaucoup. Je désirais tellement voir un peu le monde avant de me caser ; et je mourais d’envie de goûter à la vie « princière ». Je suis donc partie au début de l’été 1932. Merveilleux. Quelque chose de merveilleux. Ils ont été merveilleux avec moi.
    « Ils avaient deux petites filles de quatre et six ans. Et naturellement tout un personnel : une femme de chambre à la maison pour le blanchissage, etc., des domestiques pour le ménage et l’entretien. Moi je n’avais qu’à leur parler allemand, un peu français et faire la jardinière d’enfants avec eux. Les Corsini avaient des châteaux un peu partout dans la région ; je les accompagnais dans tous leurs déplacements. Et chaque fois que je pouvais, je courais les musées de Florence. On me donnait toujours un valet de chambre pour m’escorter. Je le mettais sur les genoux, le malheureux. Je suis restée deux ans et demi. Paul m’écrivait tous les jours ou presque. Je lui écrivais une fois par semaine. »
    Plus tard, il s’avéra qu’en ce temps-là, Frau Stangl appelait encore son mari Franz et non Paul. Ce que prouvait un coffret à bijoux en bois qu’elle me montra et qu’il avait ciselé pour elle quand il était interné au camp des SS après la Seconde Guerre mondiale : il y avait, gravée, cette inscription : In liber Treue und stiller Schnsucht. Dein Franz [7] . « C’est ainsi que je l’appelais au début de notre amour, dit-elle alors. Plus tard, je lui ai fait remarquer que tous les hommes de notre entourage s’appelaient Franz et j’ai dit : “Je t’appellerai Paul.” Et c’est encore sous ce nom que je pense à lui. »
    Il y a une faille dans l’attitude de Frau Stangl envers son mari. D’une part, elle est celle qui « se tint à ses côtés » d’une façon à la fois romantique, honorable et conventionnelle. De l’autre, elle cherche toutes sortes de petits moyens pour accentuer le rôle de sa propre personnalité et son autonomie par rapport à lui. Le changement de prénom en est un exemple subtil. À l’époque où elle a substitué Paul à Franz, la faille était moins profonde, mais elle a dû éprouver le besoin, inconsciemment peut-être, de marquer sa propre supériorité intellectuelle et morale. Quand elle dit aujourd’hui : « Il m’écrivait presque tous les jours, et moi une fois par semaine », on peut en conclure qu’elle signifie par là

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