Au Fond Des Ténèbres
n’aurait pas logé ailleurs. Et à Linz naturellement, il y a eu tout de suite ce Prohaska, avec lequel il a eu des difficultés, dès le début.
« Je me souviens du jour où il est rentré avec ce formulaire et où il a dit : “Maintenant, ils veulent que je signe ça.” Et le papier portait – je ne me rappelle pas les termes exacts mais il devait déclarer à peu près qu’il était “croyant” mais qu’il renonçait à son appartenance à l’Église catholique. J’ai dit : “Naturellement, tu ne vas pas signer.” C’était le deuxième coup terrible pour moi : pour finir, il ne nous a plus été possible d’en parler, il ne voulait plus rien me dire ; et je n’ai jamais su en somme s’il avait signé ou pas, mais je croyais vraiment qu’il ne l’avait pas fait. Vous êtes sûre qu’il l’a fait ? C’est à partir de là qu’il a commencé à dire de temps en temps qu’il avait envie de quitter la police. Mais c’est le moment où la guerre a éclaté et il a reçu un ordre de réquisition et naturellement, il a fallu qu’il reste. »
3
En novembre 1940, Stangl eut un nouvel avancement et reçut l’ordre d’aller prendre des instructions à Berlin.
« L’ordre était signé Himmler, dit-il et sa voix résonnait encore de terreur. Il portait que j’étais transféré au Centre national pour la Santé publique ( Gemeinnützige Stiftung fur ueil und Anstaltspflege ) et que je devais m’adresser au Kriminalrath Werner à la Reichkriminalpolizeiamt de Berlin, Werdscher Markt 5. Le Kriminalrath Werner m’a dit qu’on avait décidé de me confier le poste très délicat et absorbant de surintendant de police d’un institut spécial qui était administré par ce centre dont le quartier général se trouvait Tiergartenstrasse 4 à Berlin. »
Saviez-vous alors ce qu’était Tiergartenstrasse 4 ?
« Je n’en avais aucune idée. J’en avais vaguement entendu parler de temps à autre sous le sigle T4 mais j’en ignorais le rôle exact. »
Incontestablement, il disait la vérité. Car, à cette époque, Tiergartenstrasse était au cœur de ce qui a été pendant des années l’opération la plus secrète du III e Reich : à savoir d’abord le service « d’euthanasie » pour les handicapés physiques et mentaux d’Allemagne et d’Autriche, et plus tard celui de la « solution finale » : l’extermination des Juifs.
Le bâtiment qui abritait T4 – terme qui servait au camouflage – était une villa banale de Charlottenburg, un des quartiers résidentiels de Berlin. Le plan et les ordres émanaient de la Chancellerie du Führer au bâtiment de la Chancellerie du Reich dans le centre de Berlin, département spécial créé par Hitler pour le règlement de ses affaires privées et l’examen des pétitions adressées personnellement à lui. La Chancellerie du Führer était un service relativement réduit et très fermé, dirigé par Philip Bouhler que Gerald Reitlinger a décrit comme « le personnage le plus mystérieux de la hiérarchie national-socialiste » et qui exerçait une influence considérable sur la pensée et la conduite de Hitler.
Des hommes comme Bouhler, Brack et Blankenburg [8] (morts aujourd’hui) et quelques autres, ainsi que les « lumières » qui apportaient éventuellement leur concours à ces activités, les professeurs de psychiatrie Nitsche, Heyde et le Dr. Mennecke en particulier, constituaient ce qu’on a appelé le « Bureau des assassins » (desk-murderers). Aucun d’entre eux, non plus que le personnel de leur service, n’a jamais tué effectivement. Et quelques-uns d’entre eux, au début tout au moins de cette épouvantable série d’événements, semblent avoir été sincèrement persuadés du caractère « miséricordieux » du Programme d’euthanasie : croyance partagée aujourd’hui par les nombreuses personnes qui réclament la légalisation de l’euthanasie sur demande. Mais après la création des « instituts » d’euthanasie, personne ni à la Chancellerie du Führer, ni à T4 ne pouvait continuer à caresser cette illusion ; il était plus qu’évident que ce qui se passait n’avait rien du « suicide facilité » ni de la « mort miséricordieuse » accordée à des malades torturés par la souffrance, sur la demande de leurs proches et pour des raisons thérapeutiques. C’était le meurtre légalisé, perpétré pour des raisons purement économiques d’abord et ensuite
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