Au Fond Des Ténèbres
qu’un seul d’entre eux tombe entre les mains des Russes. » [La même formule se retrouvait dans le livret de paie de tous les membres de l ’Einsatzgruppe 1005.]
Que Herr Allers affirme – et je le crois sincère – qu’il n’avait jamais su jusqu’alors que « Wirth et tout un groupe étaient allés à Chelmno », n’est pas aussi surprenant qu’on pourrait le croire. L’ampleur qu’avaient prise dans l’administration du Reich les intrigues entre services et les querelles personnelles est inimaginable ; elles finissaient souvent par aboutir à des individus qui étaient en théorie étroitement impliqués dans ces aventures mais qui, en fait, n’en savaient pas le premier mot. Le point apparemment mineur que soulevait Herr Allers, illustrait en fait tout ce contexte d’une façon significative et son information sur le transfert du personnel de T4 en Russie ouvre peut-être une interprétation nouvelle à la fameuse lettre écrite par le Dr. Fritz Mennecke à sa femme le 12 janvier 1942 : « Depuis avant-hier une importante délégation de notre service, commandée par Herr Brack se trouve sur les champs de bataille de l’Est, pour aider à sauver nos blessés dans la neige et la glace. Elle comprend des docteurs, des employés, des infirmières et des infirmiers, venant d’Hadamar et de Sonnenstein, un détachement de vingt à trente personnes en tout. C’est ultra-confidentiel. Ne sont restés que ceux dont on ne pouvait pas se passer. Le professeur Nitsche déplore que le personnel de notre institution d’Eichberg nous ait été enlevé si vite. »
On avait toujours pensé que cette lettre – qui est citée dans tous les récits historiques sur l’époque – se référait au transfert du personnel de l’euthanasie au Programme d’extermination en Pologne. Or il me semblait depuis quelque temps que ni les descriptions de ce groupe ni les dates données ne correspondaient ; Chelmno fut bien installé – par Wirth – mais au début de l’été 1941, plusieurs mois avant que le groupe en question parte pour « l’Est ». Et comme il avait été d’abord prévu que ce serait un institut d’euthanasie, il est bien possible qu’on y ait affecté des docteurs et des infirmiers. Mais, en décembre 1941, quand Chelmno devint le premier camp d’extermination pour les Juifs, il est à peu près hors de doute que l’équipe médicale dut être retirée. À l’exception du terrible Dr. Eberl, qui avait été le premier directeur de l’institut de Bernburg et qui, plus tard, eut pour peu de temps le commandement de Treblinka, on ne connaît pas de cas de médecins SS ou de personnel infirmier féminin ayant travaillé dans les camps d’extermination de Pologne. Il est donc possible, et même probable que « la plupart des quatre cents personnes employées à T4 » aient été envoyées en Russie pour servir de personnel médical à l’arrière du front, tout en étant gardées en réserve pour le Programme d’euthanasie étendu au reste de l’Europe qui existait déjà à l’état de projet rédigé. Quatre-vingt-seize d’entre elles seulement – la totalité des SS allemands directement impliqués – furent choisies parmi les quatre cents pour tenir les quatre camps de l’Aktion Reinhardt : l’extermination des Juifs en Pologne.
On pourrait certes mettre en doute l’opinion de Herr Allers – alors qu’il devait être renseigné – selon laquelle aucune de ces personnes n’était choisie sur la base de ses qualités propres ou de ses qualifications, mais se trouvait là en fait soit parce qu’elle l’avait postulé, soit par hasard. Et le cas d’Otto Horn tendrait à renforcer ce scepticisme : SS à Treblinka, acquitté au procès de Düsseldorf, son histoire n’en revêt pas moins, semble-t-il, une signification particulière quant à la question de savoir si, oui ou non, ces hommes avaient été désignés simplement du fait qu’ils se trouvaient disponibles ou parce qu’ils avaient été soigneusement sélectionnés. L’histoire de Horn apparaît dans le détail sous un jour un peu différent, selon que le récit en est fait par lui ou par Suchomel, son collègue de Treblinka. Toutefois, les deux versions soulignent un mode de recrutement précis.
Horn est infirmier de profession, originaire d’Allemagne de l’Est ; il déclare que ses états de service pendant la guerre l’ont empêché de retrouver du travail depuis. C’est un
Weitere Kostenlose Bücher