Au Fond Des Ténèbres
Allemagne, à l’homme de la rue, ou à un officier SS : « Nous allons tuer les Juifs », ils auraient dit : « Il est fou, celui-là, il faut l’enfermer. « Ce qu’on voulait au début c’était l’application d’un vieux plan polonais. Vous en trouverez l’ébauche dans les livres de Pilsudski ; un tiers tué, un tiers recasé quelque part ; un tiers autorisé à s’assimiler. Dans cet esprit, on a commencé par le projet de créer à Madagascar un État juif, qui devait être inclus dans le traité avec la France. Et quand on a dû y renoncer, on a imaginé d’installer cet État dans la province de Lublin. Et rien ne pouvant aboutir, alors seulement, on a décidé… » Il s’interrompit.
« Est-ce que vous le déplorez à présent ? Regrettez-vous ce qui a été fait ? »
« Mais oui, cela va sans dire. Mais, d’un autre côté, il faut se représenter la situation allemande au début des années 30 : quand j’ai dit que je voulais étudier le droit, je me rappelle qu’un de mes parents m’a emmené au ministère de la Justice à Berlin. Nous suivions un couloir et il m’a dit de lire les noms inscrits sur les portes des bureaux : presque tous étaient juifs. Et c’était pareil dans la presse, dans les banques, dans les affaires. À Berlin, tout ça était entre les mains des Juifs. Ce n’était pas correct. Il aurait bien dû y avoir quelques Allemands ? »
« Naturellement, c’étaient des Allemands, non ? » « Oui, oui, bien sûr, mais vous savez ce que je veux dire… J’ai pensé encore à quelque chose, a-t-il ajouté un peu plus tard, au sujet de ce que Stangl vous a dit, vous vous souvenez ? Sur son arrivée à T4 et le fait qu’il a eu à choisir entre se rendre à l’Est ou retourner chez lui à son poste ; je n’ai jamais voulu faire tort à ces hommes qui sont allés en Pologne, c’est pourquoi je n’ai jamais dit ce que je vais vous dire : il est tout à fait possible, je crois, que Stangl – comme il vous l’a dit – et d’autres aussi, n’aient pas su ce qu’ils allaient avoir à faire en Pologne. Mais, s’ils s’en doutaient [Stangl m’a dit qu’il avait appris par la suite que « certains » savaient] alors, après tout, ils n’étaient pas obligés d’y aller ; c’était exactement comme pour Stangl, on leur donnait le choix… »
Deuxième partie
1
Les documents historiques dans le domaine public prouvent sans aucun doute que l’extermination des Juifs ainsi que d’un grand nombre de Tziganes par les nazis, fut envisagée comme première étape d’un gigantesque programme de génocide de toutes les races dites « inférieures » de l’Europe. Le début eut lieu à la fois en Russie où l’on estime que les Nazis tuèrent 7 millions de civils entre 1941 et 1944, et en Pologne où les chiffres avancés varient, selon les sources, de 800 000 à 2 400 000 Polonais, non Juifs.
À la lecture de ces chiffres monstrueux, et du fait que le génocide, sous une forme ou une autre a existé depuis l’aube des temps historiques – non moins qu’à notre époque et du fait de nations autres que les Allemands – il ne faut pas trop s’étonner que la question : « En quoi le meurtre des Juifs par les nazis diffère-t-il ? » revienne sans arrêt et souvent dans la bouche de gens éclairés.
Peut-être est-ce parce qu’on a tant écrit, depuis tant d’années, sur le sujet si bouleversant des nazis et des Juifs, que beaucoup de gens y opposent aujourd’hui une résistance lassée – et circonspecte. Les faits bruts ont été brouillés et certains même n’ont jamais été admis.
Usant – ou mésusant – de la perspective historique, quelques chroniqueurs du temps voudraient nous faire croire que l’extermination des Juifs fut presque une conséquence accidentelle du déroulement des faits, imposée en quelque sorte aux nazis par les circonstances. Le « Personne ici ne pensait à l’extermination » de Dieter Allers m’a été répété en Allemagne des douzaines de fois, et par des gens beaucoup moins impliqués que Herr Allers.
Mais à la vérité les documents ne peuvent justifier cet argument de défense. Les voies et moyens qui ont conduit à cet immense assassinat ont évolué avec les années, mais l’intention est demeurée celle du début. Le 30 janvier 1939, Hitler déclara dans un discours au Reichstag : « Aujourd’hui une fois de plus, je serai prophète. Si les financiers
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