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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
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l’allée conduisant aux chambres à gaz – le « couloir » ; comme à Sobibor, les SS l’appelaient « la route du ciel ».
    Quatre personnes m’avaient accompagnée à Treblinka : un chauffeur ; une jeune interprète très intelligente, Wanda Jakubiuk ; Franciszek Zabecki, soixante-quatre ans, ancien membre de l’armée de l’intérieur [63]  et surveillant du trafic à la gare de Treblinka (village) ; et Berek Rojzman, soixante ans, qui a perdu toute sa famille à Treblinka et qui est l’unique survivant du camp demeuré en Pologne.
    Le froid mordait et, en dépit des bottes fourrées, mes pieds furent bientôt glacés. Après avoir marché chacun de notre côté pendant une trentaine de minutes, Wanda et moi nous sommes trouvées face à face parmi les arbres. “Les enfants”, dit-elle d’une voix sourde, justement les mots qui étaient en moi. “Oh ! Dieu, les enfants, nus, par un froid pareil.” Nous sommes restées un long moment, silencieuses, debout, là où ils s’étaient tenus, attendant que ceux des premiers rangs soient morts, attendant leur tour. On m’a raconté que souvent leurs pieds nus gelaient dans la terre si bien que lorsque, des deux côtés du sentier, les fouets des Ukrainiens commençaient à les faire avancer, leurs mères devaient les arracher du sol. Debout à cette place, c’était insoutenable à évoquer, cependant Wanda et moi sentions toutes deux que nous avions le devoir de le faire ; d’évoquer la réalité d’un enfer qu’aucun de nous ne peut réellement partager, que c’était le moins que nous dussions faire.
    Le mémorial construit par les Polonais sur l’emplacement du camp de la mort est beau : des milliers de plaques de granit, de diverses tailles, proportionnelles au nombre de victimes des villes ou villages d’Europe. Le rocher naturel est dispersé comme sur une chaussée empierrée au hasard, des dalles rappelant de minuscules villages voisinent avec de plus grandes plaques figurant les villes et les capitales ; mais toutes paraissent minuscules devant l’immense roc rugueux qui se dresse à la mémoire de plus de 300 000 habitants de Varsovie qui sont morts là.
    Grâce à ses activités pendant la guerre, surveillant du trafic à la gare de Treblinka – triage important pour le trafic militaire allemand vers l’est – et informateur inappréciable pour la Résistance polonaise, Franciszek Zabecki est une personnalité unique du point de vue historique : c’est le seul observateur exercé qui se soit trouvé sur place tout au long de l’existence du camp de Treblinka. À l’origine, il avait été placé là pour surveiller les mouvements de troupes et de matériel. Il habitait, avec sa femme et leur fils de trois ans, le premier étage du bâtiment de la gare. Son travail consistait à recenser tous les trains et les titres de transport et à compter les voitures de tous les convois militaires, cela vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec l’aide d’un adjoint qui travaillait lui aussi pour l’armée de l’intérieur. Il a été alors témoin du passage de tous les transports qui traversaient la gare, en direction du camp.
    Pan Zabecki avait débuté aux chemins de fer en 1925, à dix-huit ans. Prisonnier de guerre un court moment en 1939, il avait été casé par l’armée clandestine au poste vacant de Treblinka, en mai 1941. Il a passé la première année à assurer sa position dans la région, tout en recueillant les données utiles à l’armée clandestine concernant le développement par les Allemands d’une ligne importante entre Kossov, près de Treblinka, et Malkinia, point de rassemblement des troupes et du matériel en direction de l’est, et prenant divers contacts y compris avec le personnel allemand des chemins de fer.
    Au début du printemps de 1942, les Allemands établirent un petit camp de travail pour les Polonais près d’une carrière de pierres au plus profond des bois, à environ quatre kilomètres de la gare. « Le premier soupçon qui nous est venu que quelque chose se préparait à Treblinka, dit Pan Zabecki, remonte à mai 1942, quand quelques SS sont arrivés avec un homme appelé Ernst Grauss qui était – nous l’avons su par les cheminots allemands – un contrôleur général au Q.G. du district allemand. Ils ont passé la journée à examiner les alentours et le jour suivant, tous les hommes juifs valides du voisinage – environ une centaine – ont été amenés

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