Au Fond Des Ténèbres
pour nettoyer la lande. Au même moment a débarqué le premier contingent de gardes ukrainiens. »
Tout ce district oriental de la Pologne – dans l’espace triangulaire duquel trois des quatre camps d’extermination furent installés – est à proximité de la frontière russe.
« Beaucoup d’Ukrainiens avaient des amis près d’ici, dans un hameau de deux cents habitants proche de Treblinka, appelé Wolga-Oknaglik. C’est minuscule, sans église, ni école – les enfants vont à six kilomètres de là à Kossov. Mais c’est de là que nous sont parvenues les premières rumeurs. Nous avons appris qu’une vaste étendue de terre boisée avait été clôturée et qu’on en défrichait une partie. Deux baraquements étaient en cours de construction, un pour le personnel allemand et un autre pour les travailleurs. Un puits avait été creusé. Et, dans un laps de temps incroyablement court, non seulement nous avons su qu’un camp était installé sur cet emplacement, mais nous avons vu aussi poser une voie partant de notre ligne principale pour aboutir à l’enceinte fermée.
« Il est difficile de décrire maintenant l’atmosphère de cette époque. Quand je dis que nous entendions des rumeurs, je veux parler de toute une série d’interprétations décousues, souvent contradictoires qui paraissaient invraisemblables. Bien sûr, il y avait des choses qu’on pouvait voir. Mais d’autres, nous en étions sûrs, n’étaient que suppositions ou inventions sur ce qui se passait derrière ces clôtures.
« … On racontait que ce serait un autre camp de travail ; un camp pour les Juifs qui travailleraient au barrage de la rivière Bug ; des installations militaires ; un camp pour le montage ou le contrôle d’une nouvelle arme secrète… Finalement, les cheminots allemands nous ont dit que ce serait un camp d’extermination. Mais personne ne les a crus – sauf moi. »
Les camps d’extermination de Belsec et de Sobibor fonctionnaient depuis quelque temps. « Mais nous n’en avions pas entendu parler du tout, dit Zabecki. Vous voyez, du point de vue de l’armée secrète, Sobibor par exemple était dans le district de Lublin ; chaque district avait son autonomie administrative et il n’y avait pas de communication entre eux. J’avais vaguement entendu parler d’Auschwitz – je ne savais pas réellement ce qui se passait là-dedans, mais j’ai dit à mes camarades que je croyais ce que les cheminots allemands disaient. [Il n’existait pas d’installation d’extermination, à cette époque, à Auschwitz, ce n’était donc que des rumeurs qu’il avait entendues.] Bien sûr, personne ne concevait réellement ce que pouvait être un camp d’extermination, je veux dire que ça dépassait non seulement l’expérience, mais l’imagination, n’est-ce pas ? »
Il a continué : « Le 23 juillet 1942, c’était mon collègue Josef Pogonzelski qui surveillait le trafic du jour. La veille nous avions reçu un télégramme annonçant l’arrivée en provenance de Varsovie, de “navettes“de “recasés”. Cette dépêche précédait une lettre-télégramme contenant un plan de l’arrivée de navettes quotidiennes comme celle du lendemain, 23 juillet. Nous étions en train de les attendre, ce premier matin, de bonne heure, en nous demandant ce que ce serait. À un certain moment, deux SS sont arrivés – du camp je pense. Ils ont demandé “Où est le train ?” Ils avaient su par Varsovie qu’il aurait déjà dû être là, mais il n’y était pas. Puis est arrivé un tender – du genre train-taxi – avec deux ingénieurs allemands, l’un se nommait Blechschmied et son assistant, Teufel. Ils avaient été envoyés en éclaireurs pour guider les premiers trains sur la nouvelle voie jusqu’au camp.
1. La rampe (plateforme de la gare) où travaillait le « Kommando bleu ». 1a) la ligne allant au camp de travail de Treblinka, à 2 km de là, installation distincte où les prisonniers étaient pour la plupart des Polonais chrétiens, non des Juifs.
2. Grands baraquements de tri pour les marchandises, dont la façade côté chemin de fer a été par la suite camouflée en gare avec : 2a) b) une fausse horloge, et de faux guichets ; 2c) les portes à glissière ne servaient qu’après que les victimes avaient été emmenées.
3. La place de tri où travaillait le « Kommando de tri ». 3a) latrines.
4. Lazaret (faux hôpital). 4a) fosse
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