Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gitta Sereny
Vom Netzwerk:
lieu. Qu’il ait pu survivre à Treblinka et être en mesure de nous en relater l’histoire frise le miracle.
    Il habite avec femme et enfants une maison-fermière du XVI e  siècle, en Suisse, dans un minuscule village près de Berne où l’on fabrique l’emmenthal. Leur maison se dresse près d’un sentier, au milieu d’une prairie ; elle a des pignons, des fenêtres mansardées ornées de géraniums dans des bacs, de petites pièces intimes et une large vue sur les champs et les montagnes. « Voilà ce que nous avons choisi, comment nous avons voulu vivre », m’a dit Richard quand j’ai séjourné avec lui et sa famille à la fin de l’automne 1972.
    Il avait alors cinquante-trois ans ; c’était un homme mince, de taille moyenne, aux mains longues et effilées, aux cheveux noirs et aux yeux marron très éveillés. Il avait cette sorte de visage que les années altèrent peu ; n’était sa chevelure un peu éclaircie, il ressemblerait, sans doute beaucoup à l’enfant qu’il fut. Sa femme, Tchèque aussi – pas Juive d’ailleurs – a beaucoup de charme, la tête solide, un sourire prompt. Elle travaille dans un bureau à Berne. Leur ravissante fille de vingt ans a récemment épousé un jeune Autrichien, garçon très gentil, qui travaille également à Berne ; elle est programmeuse sur ordinateur ; le jeune couple vit avec les Glazar. Leur garçon de vingt et un ans fait ses études en Allemagne.
    Richard Glazar est né à Prague. Son père, expert financier avait d’abord travaillé pour une banque, puis à son propre compte. Il avait servi dans l’armée autrichienne durant la Première Guerre mondiale et avait été blessé. En 1932 alors que Richard avait douze ans, ses parents ont divorcé. Quatre ans plus tard, sa mère s’est remariée. Son second mari était un riche marchand de cuirs et peaux, Adolf Bergmann. Richard aimait beaucoup son beau-père et ses deux demi-frères, Karl (qui devait être tué au camp de concentration de Mauthausen) et le plus jeune (sauvé par la Croix-Rouge danoise lors d’une opération d’évacuation des enfants juifs tchèques de moins de quatorze ans). « C’était une époque merveilleuse, m’a-t-il dit. Je passais mes vacances à la campagne chez mes grands-parents maternels ; c’est là que j’ai appris à faire des choses ; comment fabriquer une roue, comment aider un veau à naître, comment travailler la terre. » Il avait passé son baccalauréat en mars 1939 et était admis à l’université de Prague en juin. « Je voulais étudier la philosophie, mais à cette époque il y avait déjà un numerus clausus et je ne pouvais pas être dans la course ; mais ils m’ont offert une place à la section des sciences économiques. Mon beau-père se rendait compte des dangers qui nous guettaient. À Noël 1938, après l’annexion des Sudètes, il s’était débrouillé pour obtenir une autorisation de sortie pour aller voir des amis en Angleterre. Et il avait pris des dispositions pour que nous puissions tous émigrer en Angleterre. Quand je pense que nous aurions tous pu faire ça – mais nous ne l’avons pas fait. À la fin, il n’a pas eu le courage de laisser tout ce qu’il avait construit et de repartir à zéro, ailleurs. Mais en Tchécoslovaquie les mesures antijuives ont été prises très progressivement ; il y a eu d’abord les inscriptions sur les boutiques : “Les Juifs ne sont pas les bienvenus”, quelquefois un peu plus précises “Interdit aux Juifs“mais autrement rien n’est arrivé ; il ne s’est pas passé grand-chose pendant un temps. »
    Il n’existait pas de vrai antisémitisme en Tchécoslovaquie comparativement aux autres pays de l’est et du centre de l’Europe. C’était dû en partie à une tradition démocratique récente mais très forte, et plus encore peut-être au fait que la plupart des Juifs tchèques assimilés appartenaient à la classe moyenne, hommes d’affaires ou de diverses professions libérales à la mentalité austro-allemande marquée. Les hommes avaient souvent servi comme officiers dans l’armée autrichienne, les enfants fréquentaient des écoles tchèques ou allemandes ; et la ségrégation et les sarcasmes dont les enfants juifs étaient alors couramment victimes en Pologne et en Roumanie étaient inconnus.
    Dans cette ambiance, il était tout à fait impossible d’envisager le déroulement même partiel des horreurs qui allaient survenir, même lorsque les

Weitere Kostenlose Bücher