Au Fond Des Ténèbres
premiers signes en devinrent évidents.
« Le 17 novembre 1939, poursuivit Richard, après l’exécution de plusieurs étudiants [65] il y eut des manifestations d’étudiants et les universités furent fermées. Après quoi j’ai travaillé pour mon beau-père jusqu’en 1940, puis ma famille m’a envoyé à la campagne près de Prague pour travailler dans une ferme – plus en sûreté pensaient-ils. En 1941 les Juifs durent porter l’étoile de David sur leurs vêtements mais je n’étais pas enregistré comme Juif et personne ne m’a embêté. »
Courant 1940, le père de Richard qui avait fui les nazis en Russie, mourut là-bas de pneumonie, leur dit-on. À l’automne de 1941, sa mère lui téléphona de Prague pour lui dire qu’ils étaient « déplacés » à Lodz en Pologne. « Elle pleurait et elle m’a dit de tenir aussi longtemps que je pourrais et comme je pourrais. Nous n’étions pas religieux, mais mon beau-père m’a béni en hébreu – j’ai appris plus tard qu’à Lodz ma mère allait travailler dans une blanchisserie ; mon beau-père est tombé très malade et il a été emmené. Ensuite ma mère a été envoyée à Auschwitz, et plus tard encore à Bergen Belsen où elle a été employée dans une fabrique de munitions – et grâce à Dieu, elle a survécu.
« Le fermier chez qui je me trouvais était assez gentil au début – plus tard nettement moins – mais sa femme a toujours été parfaite. Ils avaient deux filles très gentilles ; j’étais grand ami avec l’aînée. L’autre était toute jeune. Plus lard après mon évasion de Treblinka, j’ai écrit d’Allemagne à la femme du paysan, sous mon faux nom. Il me fallait faire savoir à quelqu’un que j’étais vivant. J’ai adressé la lettre à “chère tante et cher oncle”, c’était un risque pour elle, un risque réel. Mais elle m’a répondu tout de suite et m’a envoyé des vêtements et des affaires que j’avais laissés. »
Le 2 septembre 1942, Richard, bien que n’ayant pas été recensé comme juif, reçut une convocation à se représenter à la Mustermesse, un énorme hall d’exposition à Prague. « Quand j’ai quitté la ferme, ils étaient tous deux bouleversés – elle pleurait. Je n’avais aucune idée de ce qui pouvait m’attendre ou de ce qu’on attendait de moi. » Aucun d’entre eux ne le savait, Richard en particulier qui avait vécu loin des rumeurs et séparé des autres Juifs depuis plus d’un an. « Pas très loin de la ferme, se trouvait un estaminet où allaient les ouvriers agricoles et j’y avais été quelques fois aussi. Peu de temps après la déportation de mes parents je les ai entendus parler au comptoir et un gars qui travaillait “chez nous” a raconté qu’il avait entendu dire que ça allait mal à Lodz. Je me revois disant avec une certaine désinvolture : “Bah ! ils ne peuvent quand même pas leur couper la tête” et il m’a répondu : “J’ai entendu dire qu’ils les fusillent.” J’ai répliqué : “C’est absurde.” Ça montre comme j’en savais peu. »
En quittant la ferme il portait un sac à dos et deux autres sacs. « J’avais des bottes, deux pantalons – un de travail en coton et un en lainage par-dessus, un pull-over et une veste de sport. Dans mon sac à dos, j’avais mis un costume, quelques chemises, un pyjama de flanelle, des chaussures de sport et des chaussures noires, des sous-vêtements, des mouchoirs et des serviettes. Dans les sacs il y avait de la nourriture : du saindoux avec des oignons, des biscuits et des boîtes de ceci ou de cela.
« Quand je suis arrivé à Prague, la ville était déjà “libre de juifs“comme ils disaient. Nous sommes restés à la Mustermesse deux ou trois jours et nous avons attendu ; ils distribuaient de la nourriture et il y avait des lavabos pour se laver. Nous avons dormi par terre. Bien sûr des tas de rumeurs circulaient et il y avait une incertitude, mais pas de peur physique.
« Un matin, ils nous ont comptés et nous sommes allés à la gare voisine et nous avons voyagé jusqu’à Theresienstadt, village au nord de Prague, bâti autour d’une forteresse construite sous Marie-Thérèse et qui avait été convertie en un vaste camp d’internement. »
Theresienstadt, prévu pour servir de « modèle » aux camps d’internement nazis pour Juifs, hébergeait des Tchèques, des Allemands, des Autrichiens qui avaient servi dans les forces
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