Au Pays Des Bayous
préféré aménager tout de suite le site de La Nouvelle-Orléans, avait été contraint par les dirigeants de la Compagnie des Indes, qui, de Lorient, ne se faisaient pas une idée très exacte de la Louisiane, de faire du Nouveau Biloxi l'établissement principal de la colonie. Il s'y était installé, de même que le directeur régional de la Compagnie, créant un magasin, un hôpital, des baraquements pour loger les filles à la cassette et les religieuses qui accompagnaient les fiancées du Mississippi. Comme il fallait loger aussi les ingénieurs du roi et leur famille, les employés et les gardes de la Compagnie des Indes, les engagés envoyés par différents concessionnaires, souvent avec femme et enfants, les Suisses de la compagnie de Merveilleux et du régiment de Karrer, les militaires français, les prisonnières tirées de la Salpêtrière pour en faire des épouses coloniales de second choix, les forçats rescapés des galères et les vagabonds ramassés dans les rues de Paris, l'architecte Pierre Le Blond de La Tour, formé par Vauban, avait été invité, dès son arrivée, en novembre 1720, à définir un plan d'occupation des sols ! Bienville, dont la demeure était la seule avec celle du directeur de la Compagnie à ressembler à une vraie maison, avait déjà fait du site le siège du Conseil de la colonie ; il y hébergeait un missionnaire devenu vicaire général de l'évêque de Québec, le père Antoine Davion.
Les logements des émigrants de toute catégorie, construits à la hâte, étaient des plus rudimentaires : « quelques pieux en terre soutenant une couverture de joncs ». On imagine aisément la promiscuité engendrée sur quelques hectares par ce rassemblement de populations si diverses. Le Nouveau Biloxi ressemblait plus à un campement de bohémiens qu'à un comptoir colonial organisé. Les orphelines de bonne famille, dotées d'un trousseau par le roi et fallacieusement promises à de beaux mariages, se cachaient, effarouchées par les regards concupiscents des forçats récemment débarrassés de leurs chaînes, horrifiées par les propos lestes des soldats, tandis que les religieuses s'efforçaient de contenir les débordements des condamnées de la Salpêtrière rendues à la liberté et prêtes à user des charmes de la féminité pour trouver rapidement un mari, comme on les y avait invitées lors de leur embarquement à La Rochelle, ou, à défaut, un amant prêt à les entretenir. Très vite les maladies, scorbut, dysenterie, fièvres diverses, les infections vénériennes, le manque de vivres frais, des conditions d'hygiène déplorables, avaient fait du site un lieu maudit qu'on ne pensait qu'à fuir. Les désertions se multipliaient et chaque jour allongeait la liste des malades, des mourants et des morts. Entre les mois de juillet 1720 et septembre 1721, plus de neuf cents personnes périrent, tant au Nouveau Biloxi qu'au Vieux Biloxi ou dans les postes proches de ces camps.
Devant cette situation, et bien que Le Blond de La Tour semblât trouver à son goût le Nouveau Biloxi dont il jugeait « la situation avantageuse, l'air excellent, l'eau très bonne », la direction de la Compagnie des Indes décida de transférer le siège colonial à La Nouvelle-Orléans, ce qui réjouit les colons et les militaires, mais mécontenta les boutiquiers, maîtres du commerce local. L'ordre parvint au Nouveau Biloxi le 26 mai 1722, et Le Blond de La Tour confia à son adjoint, l'ingénieur du roi Adrien de Pauger, la construction d'une ville dont personne n'imaginait alors qu'elle deviendrait, au XIX e siècle, le plus grand port du Sud et le deuxième des États-Unis.
Ancien capitaine au régiment de Navarre, ingénieur du roi depuis 1707, chevalier de Saint-Louis, Adrien de Pauger fut le véritable bâtisseur de La Nouvelle-Orléans, bien que les historiens aient plus souvent retenu le nom de Le Blond de La Tour, qui s'attribua, avec les plans de son subordonné, le mérite d'avoir dessiné la cité en forme de croissant. Ayant amené avec lui une soixantaine d'ouvriers recrutés en Artois, sa province natale, Pauger fut étonné de ne trouver sur le site de la future cité qu'une vingtaine de baraques, éparpillées au milieu des broussailles, dans une zone boisée « à ne pouvoir donner un coup d'alignement ». Il se mit néanmoins au travail, parcourut le fleuve en amont du site, le descendit en aval jusqu'à son embouchure et démontra que les adversaires de
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