Au Pays Des Bayous
on tassait entre poteaux un mélange de mousse, de sable et d'argile, auquel certains ajoutaient des crins d'animaux et des coquillages fossilisés. Les toitures constituées, en l'absence de tuiles, par des planchettes de cyprès assuraient une assez bonne protection contre les ardeurs du soleil et les pluies ordinaires. En revanche, ces constructions aux murs poreux, aux toits légers, ne résistaient ni aux ouragans ni aux cyclones, assez fréquents dans le delta du Mississippi. À peine quelques douzaines de maisons étaient-elles édifiées que, le 11 septembre 1722, survint un cyclone meurtrier. Le vent, accompagné de grêle, fit rage pendant quinze heures, les eaux du bayou Saint-Jean montèrent d'un mètre, celles du Mississippi de plus de deux mètres. Les baraques qui servaient d'église et de presbytère furent jetées à bas ; des malades reçurent le toit de l'hôpital sur la tête ; on eut juste le temps de sauver les réserves de poudre en les transportant dans le colombier du commandant. Devant la ville, l' Abeille et le Cher coulèrent, le Santo-Christo et le Neptune , vaisseaux de douze canons, s'échouèrent après avoir rompu leurs amarres, l' Aventurier ne s'en tira qu'en levant l'ancre, mais beaucoup de bateaux plats et de pirogues, chargés de grains ou de volaille, furent engloutis et emportés par le Mississippi. La pluie torrentielle, destructrice des récoltes, dura deux mois, après lesquels on dut payer un œuf seize sols et un morceau de bœuf boucané vingt-cinq livres ! Cette catastrophe inspira à l'ingénieur Jean-François Dumont de Montigny, qui vécu l'événement, ces vers boiteux :
La grêle se mettant d'une telle manière
Qu'elle fit craindre à tous en ce triste moment,
Que l'on allait avoir le dernier jugement !
Et même les oiseaux tombaient sur la rivière.
Les premiers planteurs
Dès la fin de l'année 1717, les demandes de concessions émanant de particuliers ou de sociétés dites de colonisation s'étaient multipliées. La propagande pour la Louisiane, orchestrée par les agents de la Compagnie des Indes et soutenue par les gazettes, avait commencé à porter ses fruits. Afin d'inciter les gens riches à investir dans des domaines dont la rentabilité semblait ne pas faire de doute et d'encourager ouvriers ou artisans à s'expatrier avec la perspective de bons gains, les polygraphes rivalisaient de superlatifs pour décrire un pays dont ils vantaient exagérément les charmes et escamotaient les désagréments. Des journaux comme le Nouveau Mercure publiaient des « relations de voyage », lettres ou reportages d'officiers de marine, de négociants ou de voyageurs inconnus qui revenaient, ou étaient censés revenir, de Louisiane. L'un annonçait, en juillet 1719, la découverte de deux mines d'or, un autre, en avril 1720, assurait ses lecteurs qu'on avait extrait, au pays des Sioux, un minerai à forte teneur en argent, un troisième que le pays restait totalement dépourvu d'animaux nuisibles, que la population de La Nouvelle-Orléans figurait parmi les plus honnêtes du monde, qu'on y vivait à bon marché, qu'un climat suave en toute saison rendait le séjour plaisant dans des paysages qui eussent facilement inspiré à Virgile un supplément à ses Bucoliques !
Sur place, il s'agissait de mettre le pays en valeur et donc d'accueillir les concessionnaires en quête d'un établissement et les ouvriers, artisans et employés que les investisseurs, séduits par d'aussi alléchantes perspectives, avaient engagés. Chaque concession attribuée par la Compagnie était bornée, sur les rives du Mississippi, d'un autre fleuve ou rivière, ou même d'un bayou, par deux lignes perpendiculaires au cours d'eau, réservant entre elles une part de berge et qui s'enfonçaient à l'intérieur des terres sur des distances variables. Cette portion de berge représentait la « façade » du domaine avec sa porte fluviale. Les cours d'eau étant, à l'époque, les seules voies de communication, il était en effet indispensable que chaque concession possédât un accès au fleuve ou au bayou.
Les propriétaires construisaient généralement leur maison à bonne distance de la rive, afin de la mettre hors d'atteinte des débordements du Mississippi, et s'empressaient de planter sur deux lignes parallèles des chênes ou des cèdres qui constitueraient, au fil des années, de somptueuses voûtes de verdure. Ces legs des premiers planteurs valent en effet à la
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