Au Pays Des Bayous
La Nouvelle-Orléans mentaient en soutenant que le Mississippi avait seulement cinq pieds de profondeur en ce lieu, alors que les sondages méthodiques donnaient treize pieds ! Ayant étudié l'influence des marées, l'érosion des fonds et le débit du fleuve, Pauger décida de fermer les passes secondaires afin de forcer le Mississippi à ne plus alimenter qu'un seul bras qui, creusé et élargi par le courant, deviendrait praticable à des navires de quatre à cinq cents tonneaux. Ainsi, les gros bateaux remonteraient non seulement jusqu'à La Nouvelle-Orléans mais au-delà, vers le pays des Arkansa. Comme les terrains sur lesquels devait s'élever la future ville se trouvaient à un niveau inférieur de cinq pieds par rapport à celui de la mer, Adrien de Pauger proposa aussitôt la construction « d'une bonne digue contre les débordements du fleuve ». Énergique, sachant à l'occasion tourner les règlements qui contrecarraient ses projets, mais probe et soucieux d'apporter confort et sécurité aux habitants, l'ingénieur dut faire face à l'opposition épisodique des comptables de la Compagnie, à la malveillance de certains habitants de Biloxi, qui le dénonçaient à Paris comme dilapideur des fonds de la colonie, et même aux manœuvres dilatoires des employés de la Compagnie des Indes, qui retardaient l'envoi de ses plans à Paris ! Il vit même se dresser des adversaires parmi les gens qui avaient, dans un premier temps, accepté avec enthousiasme de s'installer à La Nouvelle-Orléans, ceux notamment qui lui reprochaient de concéder les meilleurs emplacements à ses amis, ceux qui voulaient bâtir leur demeure où bon leur semblait, sans tenir compte du dessin des quartiers, ceux enfin dont les propriétés étaient écornées par le tracé des rues. Heureusement soutenu par Le Blond de La Tour, qui se souvenait fort à propos qu'il avait été hydrographe et antidatait sa correspondance pour masquer son ralliement tardif aux plans de son adjoint, Pauger finit par faire admettre ses vues et ses dessins. Dès que ces derniers furent officiellement approuvés, Pauger, bien conscient d'être le bâtisseur compétent et responsable « d'un poste qui sera un jour le plus important du golfe du Mexique », se montra d'une intransigeance brutale avec les récalcitrants. C'est ainsi qu'un certain Traverse, qui avait bâti une maison « hors de l'alignement des rues », fut mis en prison et relâché quand sa maison eut été détruite ! Comme l'homme privé de toit demandait une indemnité, Pauger le fit rosser à coups de bâton et remettre en prison ! Les maîtres d'œuvre de 1720 ne connaissaient pas les entraves que les enquêtes de commodo et incommodo mettent parfois aux réalisations les plus ambitieuses des urbanistes.
En dépit de ces difficultés, du manque d'ouvriers et des intempéries, la ville s'édifia au fil des mois. La topographie du Vieux Carré, en réalité un rectangle nommé par les Américains French Quarter et qui attire maintenant tant de touristes, donne, aujourd'hui encore, une idée assez exacte de l'implantation voulue par Adrien de Pauger. La ville conçue par l'ingénieur s'étendait à la perpendiculaire du Mississippi, sur six cent vingt toises à l'intérieur des terres et sur trois cent soixante toises au long du fleuve 1 . Cette surface était divisée en îlots, tous entourés d'un fossé d'assainissement. Chaque îlot était théoriquement fractionné en douze lots, mais on accordait aux habitants la possibilité d'acquérir plusieurs lots juxtaposés. Les blocs ainsi constitués se trouvaient séparés par des rues rectilignes se coupant à angles droits, suivant un plan équilibré, qui annonçait ceux des futures villes américaines du XIX e siècle. Adrien de Pauger nomma bientôt les voies, en commençant par en consacrer une à son saint patron, puis les autres prirent les noms qu'elles portent encore de nos jours : Royale, d'Iberville, de Chartres, de Bourbon, d'Orléans, Saint-Louis, etc.
Pour la construction des maisons, on utilisait les matériaux naturels trouvés sur place. Le bois ne faisait pas défaut, ni le limon argileux fourni par le fleuve, ni les coquillages rejetés par les eaux du lac Pontchartrain, ni la mousse espagnole imputrescible qu'il suffisait d'arracher aux branches des cyprès, des cèdres et des chênes. Ces matériaux imposaient la technique du bousillage utilisée par les Indiens les plus évolués. Pour monter les murs,
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