Au Pays Des Bayous
vieillesse, maladie ou autrement, que la maladie soit incurable ou non, seront nourris et entretenus par leurs maîtres, et, en cas qu'ils les eussent abandonnés, lesdits esclaves seront adjugés à l'hôpital, auquel les maîtres seront obligés de payer six sols par jour pour la nourriture et l'entretien de chaque esclave. »
En plus de ce que l'on n'ose appeler une protection sociale, les rédacteurs du code entendent, sans doute pour se donner bonne conscience, prévenir les abus d'autorité. Il est interdit aux maîtres « de donner la torture ni de faire aucune mutilation de membres, à peine de confiscation des esclaves et d'être procédé contre les maîtres extraordinairement ». Mais le code ne semble pas envisager comme une chose possible la culpabilité d'un propriétaire d'esclaves et l'article suivant atténue assez hypocritement l'apparente rigueur du précédent.
Article 43 : « Enjoignons à nos officiers de poursuivre criminellement les maîtres ou les commandeurs, qui auront tué un esclave étant sous leur puissance ou sous leur direction, et de poursuivre le meurtre selon l'atrocité des circonstances, et, en cas qu'il y ait lieu à l'absolution, permettons à nos officiers de renvoyer, tant les maîtres que les commandeurs, absous, sans qu'ils aient besoin d'obtenir de nous des lettres de grâce. »
On pouvait donc dans la colonie se rendre justice entre soi avec la mansuétude que l'on peut imaginer quand la victime, en tant qu'esclave, ne pouvait manquer d'avoir tort !
À la fin de l'année 1720, la Louisiane va enfin pouvoir prétendre au nom de colonie. Les attributions de domaines vont bon train, les émigrants arrivent pour les exploiter, les Noirs enlevés à l'Afrique pour les mettre en culture et les relations avec la métropole, si rares pendant de nombreuses années, se multiplient à tel point qu'on ne sait, certains mois, où trouver des mouillages pour les navires devant l'île Dauphine et le Nouveau Biloxi ! Entre le mois de mai 1719 et le mois de décembre 1720, trente-trois bateaux ont été armés à Lorient pour la Louisiane et ont amené dans la colonie des centaines d'hommes et de femmes.
On imagine aussi que sous l'impulsion de Law la France va poursuivre ce bel effort d'investissement, mais on déchante quand on apprend sur les rives du Mississippi ce qui s'est passé à Paris. M. Law a fait banqueroute, son génial système s'est effondré. Malgré son apparente réussite, le banquier n'a pu maîtriser la situation. Le 22 mai, le Conseil d'État a rendu un arrêt concernant les actions de la Compagnie des Indes, plus connue des Parisiens sous le nom de Compagnie du Mississippi. Cet arrêt prévoyait une réduction progressive de la valeur des actions qui devraient ainsi, à la fin de l'année, valoir moitié moins. C'est exactement ce qui est arrivé, sauf que les actions ne valent plus rien du tout ! « Cela fit ce qu'on appelle, en matière de finance et de banqueroute, montrer le cul », écrit Saint-Simon, commentant crûment la situation. Naturellement, une foule de gens, et non des moindres, se crurent ruinés. Cela fit un beau tapage dans les antichambres et même dans les alcôves. Le parlement, qui ne ratait jamais une occasion de déplaire au Conseil d'État, s'était présenté comme défenseur de l'épargne en refusant d'enregistrer l'arrêt. Law avait ainsi échappé, provisoirement, au rôle de bouc émissaire que certains entendaient lui faire jouer. Mais la confiance, qu'un rien effarouche, s'était aussitôt diluée devant l'inquiétude des agioteurs et de leurs clients. On vit bientôt les possesseurs de billets de banque se mettre en quête d'espèces sonnantes et trébuchantes, tandis que ceux qui s'étaient battus rue Quincampoix pour devenir actionnaires de la Compagnie du Mississippi recherchaient des naïfs ou des ignorants à qui revendre des certificats qui ne certifiaient plus grand-chose.
Le 17 juillet 1720, seize personnes avaient péri, étouffées rue Vivienne par la foule furieuse des petites gens, venus chercher à l'hôtel Mazarin les dix livres accordées en échange de ces billets que personne ne voulait plus recevoir en paiement. Le cocher de Law, qui reconduisait le carrosse de son maître, avait été pris à partie. On lui avait jeté des pierres à la tête, faute de pouvoir rosser l'Écossais !
Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville, installé avec bonheur dans l'intérim qui faisait de lui le gouverneur de
Weitere Kostenlose Bücher