Au Pays Des Bayous
commencé le honteux déplacement de population que l'histoire a retenu sous le nom de Grand Dérangement. Pendant l'année 1755, plus de dix mille Acadiens des provinces maritimes furent déportés dans les colonies britanniques, notamment dans les Carolines et en Georgie, tandis que les récalcitrants étaient emprisonnés à Halifax ou envoyés en Angleterre sur les pontons-prisons. Ceux qui réussirent à prendre la fuite se cachèrent dans les bois, passèrent dans les établissements français du Canada, se réfugièrent sur l'archipel de la Madeleine, à l'embouchure du Saint-Laurent. D'autres encore, ayant pu revenir en France, se fixèrent à Belle-Île et dans le Poitou. Parmi ces rapatriés, M. de Choiseul, secrétaire d'État aux Affaires étrangères, en trouva qui acceptèrent d'aller s'installer en Guyane et aux Malouines. Plus tard, des centaines d'Acadiens, transportés de force dans les colonies anglaises d'Amérique, devaient fuir les résidences imposées et se mettre en marche vers la Louisiane, où les premières familles arriveront en 1765. Mais, entre-temps, la Louisiane sera devenue espagnole !
Les affres de l'isolement
Dès le printemps 1755, le baron de Kerlérec avait été informé par le ministre de la Marine du risque d'une guerre prochaine avec l'Angleterre. Aussitôt, le gouverneur de la Louisiane avait entrepris, au long du Mississippi, la construction de fortins et réclamé des troupes, considérant fort justement que, sur les mille deux cents soldats qui émargeaient sur les rôles de la colonie, il aurait bien du mal, en cas de conflit, à en rassembler trois cents prêts à se battre !
Les hostilités attendues et redoutées furent ouvertes par l'Angleterre, à la fin de l'année 1755, quand des navires britanniques attaquèrent trois vaisseaux français au large de Terre-Neuve. En janvier 1756, deux corvettes, qui venaient de quitter La Nouvelle-Orléans, furent interceptées, dans le golfe du Mexique, par l'ennemi qui s'empara des dépêches que le gouverneur de Louisiane expédiait à Versailles. Les Anglais eurent ainsi connaissance des besoins de la colonie, donc de sa tragique faiblesse. Pendant ce temps, en Europe, le renversement des alliances avait donné à l'Angleterre l'appui de la Prusse, jusque-là amie de la France, laquelle s'était assuré, pour sa part, le concours de l'Autriche et de l'Espagne. Le 9 juin 1756, une nouvelle guerre, qui allait durer sept ans et faire plus de cinq cent cinquante mille morts, fut officiellement déclarée.
Comme chaque fois que la France est en guerre, que ses forces sont mobilisées sur les théâtres d'opérations européens, que sa marine doit combattre, sur toutes les mers, la puissante marine britannique, la Louisiane retourne à son triste isolement. En 1756, un seul bateau vint de France et aucun n'entra dans le port de La Nouvelle-Orléans avant le 16 avril 1758. Ce jour-là, l' Opale et la Fortune arrivèrent avec quarante-cinq soldats suisses et vingt-deux colons. Beau renfort, en vérité, pour une colonie aux frontières floues mais démesurées ! De la Fortune débarqua aussi un commissaire ordonnateur, Vincent Gaspard Pierre de Rochemore, désigné pour remplacer Jean-Baptiste Bobé-Descloseaux, qui assurait l'intérim depuis la mort d'Auberville.
Le nouvel administrateur, troisième fils du marquis de Rochemore, est âgé de quarante-cinq ans. Il a renoncé à la prêtrise pour entrer dans la marine où il a fait carrière dans les bureaux, après des études à l'université d'Avignon. Sur les navires, on l'a rencontré plus souvent comme passager que sur la dunette. Commissaire à Rochefort, puis à Marseille, il était venu en Louisiane en 1745, à bord de l' Éléphant . Il avait même demandé, à l'époque, à M. de Vaudreuil « à entrer dans la colonie », ce qui lui avait été refusé. Un peu plus tard, il avait cependant obtenu d'y séjourner comme garde-magasin, chargé des fortifications. Individu aux idées courtes et confuses, procédurier en diable, cupide, Rochemore attend d'un poste colonial ce qu'il n'a pu trouver dans ses fonctions en métropole : le moyen de s'enrichir aux dépens de la communauté. Le nouveau commissaire ordonnateur est en plus flanqué d'une épouse redoutable. Mme de Rochemore, une harpie qui ne manque ni d'esprit ni de courage, excelle dans la médisance et compose des chansons fielleuses contre ceux qui lui déplaisent. Le gouverneur, qui a vite évalué
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