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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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promiscuité des croisières vers le Nouveau Monde, avait obtenu pour les voyageuses, à bord du navire, un espace protégé et relativement confortable. Il avait aussi interdit toute communication entre les jeunes filles et les officiers ou autres passagers. Comme les tendrons parisiens se rendaient en Louisiane pour contribuer, avec le concours d'époux promis mais inconnus, au peuplement de la colonie, Iberville, malade cette année-là et ne pouvant participer au voyage, avait fait embaucher, au salaire de quatre cents livres par an, Marie Grisot, une sage-femme de bonne réputation. Cette dame aurait non seulement à s'occuper, le moment venu, des parturientes, mais devrait soigner les malades des deux sexes. Parvenue à destination, elle fit plus tard des manières pour donner aux hommes des soins qui, par leur nature, n'entraient pas dans ses attributions professionnelles, encore qu'ils aient intéressé, dans bien des cas, les organes de la procréation 2  !
    On ignore si, pendant la traversée, les consignes d'isolement et de protection données par Mgr de Saint-Vallier furent strictement respectées, mais l'on sait, en revanche, que le Pélican ne toucha La Havane qu'au mois de juillet. C'est au cours de cette escale qu'une épidémie, malaria ou fièvre jaune, se déclara sur le bateau. Pierre Charles Le Sueur, qui s'en retournait à sa mine du pays des Sioux, avait été l'une des premières victimes. On devait en compter d'autres, car le Pélican , vaisseau infesté, avait transporté la maladie en Louisiane. La petite communauté du fort de la Mobile, atteinte à son tour, comme celle de l'île Massacre où quelques Canadiens s'étaient établis, avait déploré en quelques semaines une quarantaine de morts, dont Le Vasseur, chef des Canadiens. Le brave Henry de Tonty, glorieux manchot et fidèle lieutenant de Cavelier de La Salle, frappé lui aussi de la « peste de La Havane », avait survécu jusqu'en septembre. Il était âgé, au jour de sa mort, de cinquante-quatre ans.
    Comme il ne restait plus, cette année-là, dans la colonie que deux femmes, l'épouse de Nicolas de La Salle, promu commissaire ordonnateur, et celle d'un artisan, les Parisiennes avaient été accueillies chaleureusement. Quinze d'entre elles, bien que très éprouvées par la traversée et à peine remises de l'angoisse de l'épidémie, avaient trouvé rapidement des époux parmi les Canadiens ou les artisans. On devait apprendre, au fil des années, que ces mariages exotiques n'apportèrent que rarement le bonheur à des femmes que rien ne préparait à la vie rude des pionniers.
    Marcel Giraud a donné les raisons du rapide désenchantement des épouses importées : « À l'insalubrité apparente de la colonie s'ajoutait l'absence de confort matériel, la médiocrité des ressources de la population. La plupart avaient quitté Paris dans l'espoir de trouver en Louisiane une existence plus facile, séduites par la promesse que la monarchie garantirait leur subsistance pendant un an. Mais l'assistance promise ne pouvait leur permettre d'atteindre, dans un aussi court délai, le degré d'aisance qu'on leur avait fait entrevoir à Paris. […] Le régime alimentaire, enfin, dont la bouillie de maïs était l'élément dominant, ne tarda pas à leur inspirer une aversion d'autant plus grande que l'évêque de Québec leur avait représenté le pays comme “bien approvisionné”. »
    On peut aussi penser que ces demoiselles de la ville ne s'habituèrent pas aisément à vivre dans des cabanes de rondins où s'engouffraient, le soir venu, des nuées de moustiques affamés de sang frais, où se glissait parfois un serpent, tandis que d'étranges oiseaux se disputaient, en criant, les ordures ménagères. Certaines personnes, pauvres mais de petite noblesse, avaient espéré rencontrer parmi les officiers de la garnison des jeunes hommes du type prince charmant ou guerrier romantique, qui apprécieraient leur éducation, leur tiendraient la main au clair de lune en récitant des vers sucrés, et ne leur proposeraient l'hymen qu'après une cour faite dans les règles. Or, à peine débarquées, les plus laides avaient perçu dans le regard des hommes la convoitise élémentaire et la rustique concupiscence du mâle longtemps privé de femme. Celles qui refusèrent en rougissant les hommages appuyés et les propositions sans fioriture des braves Canadiens, plus habiles à dépouiller un bison qu'à délacer un corset, se virent

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