Au Pays Des Bayous
aux yeux de certains contemporains. Conduit par les circonstances à relayer le premier des Le Moyne, Jean-Baptiste entendait se montrer à la hauteur des responsabilités qui, soudain, lui incombaient et se voulait continuateur digne et capable de l'œuvre de son frère. Comme Iberville et, avant ce dernier, le découvreur Cavelier de La Salle, il se donna aussitôt pour mission de jalonner les rives du Mississippi de forts et de magasins afin de rendre sûr et commercialement exploitable le long chemin liquide qui, des Grands Lacs au golfe du Mexique, traverse l'Amérique du Nord.
Si Iberville laisse un patrimoine personnel important, sa succession coloniale, bien que prometteuse, est encore en friche. Quand le marin meurt, en juillet, à La Havane, léguant aux siens une fortune considérable en domaines situés en France, à Saint-Domingue, à Cuba et en Nouvelle-France, le bas Mississippi, dont il comptait bien tirer quelques profits, ne peut même pas encore prétendre au statut de colonie. À l'est du delta, autour des forts Biloxi et Louis – Maurepas, construit par Iberville lors de son premier séjour, a été abandonné dès 1702 parce que trop insalubre –, vivent, dans quatre-vingts cabanes de rondins, couvertes de feuilles de latanier ou de canne, deux cent soixante-dix-neuf personnes dont cent vingt-deux militaires et quatre-vingts Indiens, plus ou moins contraints de servir les Blancs. À la même époque, la Nouvelle-France compte déjà seize mille quatre cent dix-sept habitants.
Le fort Louis de la Mobile constitue, sur la rive droite de la rivière, malgré de fréquentes inondations, la base la plus sûre de la colonie. C'est à partir de l'embryon de ville dessiné autour de cette position stratégique que l'on envisage d'attribuer des concessions à ceux qui en feraient la demande. Or on ne se bouscule pas pour devenir colon en Louisiane. Des soixante Canadiens arrivés en 1700, bien peu ont, à l'exemple des Saucier, construit une maison et défriché quelques arpents de terre. On sait qu'à Rochefort certains militaires affectés à la Louisiane, imitant le garde-marine Vaugelas, ont refusé d'embarquer. Peut-être ont-ils eu raison !
Les officiers et les soldats en garnison à la Mobile n'ont pas touché de solde depuis plusieurs années. Ils ont troqué leurs uniformes rapiécés contre des vêtements de peau et subsistent grâce aux produits de la chasse et de la pêche, en élevant des cochons et des poules, en trayant quelques vaches, rescapées du troupeau importé de Saint-Domingue, qui s'acclimatent difficilement. Le froment, sitôt planté, produit de beaux épis qui, hélas ! ne parviennent que rarement à maturité à cause des pluies diluviennes. Quand les Indiens, auprès de qui les Français dépenaillés ont perdu une bonne part de leur prestige, refusent de fournir du maïs, que tout le monde nomme blé d'Inde, de la viande de bison séchée, de l'huile et de la graisse d'ours, c'est la famine. Périodiquement manipulés par les traitants anglais, qui font de discrètes incursions à travers les Appalaches, il arrive même que les Mobiliens se montrent agressifs.
Certains militaires, négligeant le service d'un roi lointain et indifférent, oubliant la discipline censée faire la force des armées, se sont mis en ménage avec des Indiennes dans les tribus accueillantes des Pascagoula et Capina, où ils sont assurés de ne pas mourir de faim. D'autres ont tout simplement déserté et rejoint, avec l'aide de guides indiens, la colonie anglaise de la Caroline, où ils ont été fort bien reçus.
Les fidèles, les consciencieux, les patriotes guettent, derrière les palissades des forts, l'apparition des vaisseaux de France qui apporteraient ce qu'il est convenu d'appeler la ration du roi. Mais la guerre de Succession d'Espagne mobilise en d'autres mers la marine royale et n'incite guère les armateurs du commerce à risquer des voyages vers un établissement dont les rares habitants sont trop démunis d'argent pour acheter leurs marchandises et où les capitaines ne chargeraient d'autre fret de retour que des peaux de chevreuil ou de bison à demi pelées ! Au cours de l'été 1706, l' Aigle a livré quelques provisions vite épuisées et, depuis, aucun vaisseau ne s'est présenté à l'entrée de la baie de la Mobile.
Les armateurs français avaient tout de même trouvé le moyen, en 1705, d'envoyer dix-sept navires sur la côte de Guinée pour embarquer des
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