Au Pays Des Bayous
centaines de Noirs capturés par les négriers et destinés aux colonies espagnoles. Il est vrai que le commerce dit du bois d'ébène est alors plus rentable que l'approvisionnement des colons de la Louisiane. On sait par exemple que le sieur Danican, qui transporte des Noirs d'Afrique à Buenos Aires, fait, bon an mal an, plus de trois cent mille livres de bénéfice, malgré un taux de mortalité effrayant puisqu'un bon tiers des esclaves embarqués meurent en cours de traversée 1 !
Pour qu'une colonie se développe, il convient avant tout de la peupler. Pour cela, les femmes sont indispensables et les célibataires de la Mobile en réclament au moins autant que des vivres et des munitions !
Dès 1704, alors qu'il était retenu en France par la maladie et la fatigue, Le Moyne d'Iberville avait prôné le peuplement de la région de la Mobile par de vrais colons, qui accepteraient la sédentarisation et se mettraient à défricher et cultiver des terres dont la fertilité ne faisait, d'après lui, pas de doute : « Il faut trouver les moyens, disait-il au ministre de la Marine, d'envoyer des laboureurs en Louisiane. Ce qui fait que nos colonies avancent si peu, c'est qu'on y [sic] envoie que des gueux pour s'enrichir ! » Les Canadiens venus par la mer avec les Le Moyne ou descendus des Illinois avec Tonty ne pensaient qu'à courir les bois et les plaines pour chasser le bison, l'ours, la loutre et le castor, afin d'en négocier les peaux. Les premiers métropolitains, artisans ou militaires, débarqués l'année précédente n'aspiraient pour leur part qu'à se lancer à la recherche de mines de plomb, de cuivre ou de métaux précieux inexistants.
Ces gens épris d'aventure, escomptant avec naïveté des fortunes rapides, n'avaient pas vocation de cultivateur. Ils ne se préoccupaient même pas, dans la plupart des cas, d'assurer leur propre subsistance et se satisfaisaient, en attendant mieux, du régime des Indiens. Les premiers habitants des rives de la Mobile attendaient de la métropole provisions, armes, outils et vêtements, sans proposer en échange aucun produit colonial vendable et consommable en France.
La guerre européenne ayant, une nouvelle fois, condamné la Louisiane à l'isolement, les liaisons maritimes étaient devenues rares. Un seul navire, la Loire , avait ravitaillé la colonie, déjà au bord de la disette, pendant l'année 1703. Iberville, conscient de la situation, avait bien tenté de recruter des familles de ruraux de la région d'Avranches, mais son entreprise n'avait pas connu grand succès.
En 1704, le Pélican , commandé par un frère d'Iberville, Le Moyne de Châteauguay, avait transporté de La Rochelle à la Mobile des provisions, des instruments aratoires et des munitions. Dix-sept artisans, charpentiers, forgerons, briquetiers, tonneliers, serruriers, étaient du voyage ainsi que le premier contingent de filles à marier que réclamaient, depuis des mois, les célibataires de la colonie. Ces Parisiennes avaient été sélectionnées à la demande d'Iberville par les soins de Mgr de Saint-Vallier, évêque de Québec, dont l'autorité diocésaine s'étendait à la Louisiane. Comme le prélat se trouvait à Paris en même temps que le commandant général de la Louisiane, il avait veillé personnellement au choix des demoiselles « élevées dans la vertu et la piété ». N'avaient été retenues que les jeunes filles qui s'étaient déclarées formellement volontaires pour l'exil et le mariage et non celles que désignaient des parents prêts à se raviser au moment de la séparation.
Ainsi, en octobre 1703, vingt-quatre demoiselles, nanties d'un trousseau par les soins de dames patronnesses et assurées d'être entretenues pendant un an par le roi, avaient quitté Paris, en charrettes, pour La Rochelle, où elles attendirent dans un désœuvrement regrettable, jusqu'au printemps 1704, le moment d'embarquer sur le Pélican . Les Rochelais, qui, mieux que les religieuses chargées d'accompagner les fiancées coloniales, connaissaient, par les confidences des marins et des voyageurs, la qualité de la vie en Louisiane, durent brosser pour les jouvencelles un tableau de la colonie moins idyllique que celui présenté à Paris par les sergents recruteurs à cornette de Mgr de Saint-Vallier ! Ces révélations avaient suscité des craintes, parfois des larmes et vraisemblablement quelques désertions.
L'évêque, qui savait à quoi s'en tenir sur la
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