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Au Pays Des Bayous

Au Pays Des Bayous

Titel: Au Pays Des Bayous Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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sur un territoire du Nouveau Monde, si la fortune annoncée gît dans des mines ou dans une rivière charriant des pépites et où pullulent ces animaux à fourrure dont la Compagnie d'Occident s'est assuré le commerce exclusif. La rue Quincampoix, où se tiennent aussi les agioteurs et les représentants de la Compagnie, est devenue une artère tellement embouteillée qu'on a dû interdire la circulation des carrosses et des chevaux. Des gardes veillent aux deux bouts de la rue, car les tire-laine et coupe-bourse, qui méprisent la monnaie de billets et s'en tiennent encore sagement aux pièces d'or tintinnabulantes que les gens viennent échanger contre du papier, sont à l'œuvre.
    Les roulements de tambour et le tintement des cloches agitées par des commis annoncent, à sept heures du matin, le commencement des transactions, qui durent jusqu'à la nuit. Celles-ci se poursuivraient les dimanches et jours de fête, si les autorités ecclésiastiques ne s'y étaient opposées. Le duc d'Orléans, dont l'engagement financier paraît exemplaire à la noblesse, distribue des actions à tous les officiers en train de guerroyer contre les Espagnols, rivaux des Français dans le Nouveau Monde. Il en offre aussi à ses amis, pour quatre-vingt mille francs au marquis de Meuse, et en fait porter à ses maîtresses. Mme de Châteauthiers reçoit huit cent mille livres en billets. Le duc d'Orléans se sert même de cette monnaie nouvelle, qu'il suffit d'imprimer – ce fut le printemps de la planche à billets – pour payer les dettes de la France. L'Électeur de Bavière en accepte avec contentement quatre millions et le roi de Suède est désintéressé avec trois autres. Si les billets de banque sont préférés à l'argent, les actions du Mississippi sont encore plus prisées. On les offre en cadeau à ses amis comme on offre aujourd'hui un billet de la Loterie nationale. C'est même un cadeau dont la valeur nominale peut se décupler avec le temps. Il aurait suffi bien sûr d'une mission en Louisiane pour anéantir cet engouement dont les dirigeants de la Compagnie d'Occident, gens informés, ne peuvent être dupes.
    Car la Louisiane n'est pas le nouvel Eldorado. Les marchands d'actions et les agents de Law se conduisent comme certains promoteurs immobiliers de notre temps. Ils pratiquent sans vergogne ce que nous appellerions aujourd'hui la publicité mensongère.
    Le climat est présenté comme idyllique, alors qu'il règne dans le delta une chaleur étouffante et que l'humidité provoque des rhumatismes articulaires. Les moustiques, qui éclosent par myriades dans les bayous, véritables réserves à insectes, transmettent, par piqûre, la fièvre jaune ; le choléra sévit à l'état endémique et les ouragans dévastent périodiquement les côtes.
    Si l'on peut effectivement piéger la loutre, le castor, le rat musqué et le ragondin, s'il est relativement facile d'assurer sa subsistance en tuant du gibier, des bœufs sauvages, qui sont des bisons, et des oiseaux dont les espèces paraissent innombrables, si l'on pêche, dans le golfe du Mexique et dans le Mississippi, d'excellents poissons et des tortues à la chair succulente, il faut aussi prendre garde aux alligators qui hantent les marais et les rivières, aux couguars, aux ours, aux reptiles. Mais l'information ne circule pas aussi aisément qu'aujourd'hui et les promoteurs de la lointaine colonie d'Amérique savent bien qu'ils n'ont pas intérêt à divulguer certains récits de voyageurs revenus assez désenchantés de la belle Louisiane. Loin de ces lieux inhospitaliers, la banque de John Law est prospère et les actions de sa société coloniale se vendent bien.
    Ces succès, cette confiance manifestée à son système par le Régent et, à quelques exceptions près, par tous les nantis de l'époque, confortèrent John Law dans la bonne opinion qu'il avait de lui-même. « Bien que froid et sage il sentit broncher sa modestie », écrit Saint-Simon qui suivait avec un regard d'entomologiste courtisan l'élévation du banquier. On estimait dans l'entourage de Law, et le duc d'Orléans n'était pas le dernier à le penser, qu'un homme qui savait si bien conduire une affaire privée ferait un gestionnaire précieux des finances de l'État, dont le désordre restait préoccupant. Le poste de contrôleur général des Finances irait parfaitement à l'Ecossais, mais on ne pouvait imaginer dans cette fonction un étranger, hérétique de surcroît. Le

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