Au Pays Des Bayous
demi-continent !
Une des premières décisions que prirent les directeurs de la Compagnie fut d'engager Bienville à rechercher sur le Mississippi, à quelque distance de la mer et à l'abri des débordements du fleuve, un site convenable et sûr pour fonder un établissement qui serait le siège administratif de la colonie. Le commandant général de la Louisiane, qui s'était déjà attribué une concession sur l'île à Corne, dans la baie de Pascagoula, avait lancé le projet d'un comptoir qu'il situa à la pointe d'une presqu'île faisant face au vieux fort Biloxi, fondé autrefois par son frère Iberville, et qu'il nomma Nouveau Biloxi. Peu à peu, les habitants de l'île Dauphine s'y transportèrent et le Conseil de la colonie s'y installa. Cependant, l'attribution des premières concessions à l'intérieur des terres incita les représentants de la Compagnie à rechercher un site où l'on pourrait édifier le centre administratif et commercial de la colonie. Ce nouvel établissement devrait être aisément accessible aux concessionnaires des vastes domaines, de plus en plus éloignés du littoral, qui s'organisaient sur les berges du fleuve, comme aux bateaux venant du golfe du Mexique. Bienville se souvint peut-être, à ce moment-là, que son défunt frère Iberville avait repéré, lors de son premier voyage, à quarante-cinq lieues environ des bouches du fleuve, une belle courbe, tracée comme au compas, dans laquelle le Mississippi enlaçait aux trois quarts une vaste lande boisée, où l'on aurait pu établir un camp relativement confortable 4 . Iberville avait d'ailleurs noté le fait dans son journal, à la date du 9 mars 1699. Le lieu, situé sur la rive gauche du Mississippi, dans la partie la plus étroite de l'isthme, entre le fleuve et le lac Pontchartrain, était relié à la baie de Biloxi par le bayou Saint-Jean, le lac Pontchartrain et le lac Borgne. Sur cette presqu'île orbiculaire, née d'un méandre harmonieux du fleuve, les Bayagoula avaient autrefois construit un village. Il fallait cependant s'éloigner de la berge, où croissaient des cyprès et des cannes, pour trouver la terre ferme, encore qu'il y eût « par endroits une demi-jambe d'eau », avait précisé Iberville. L'explorateur, ayant fait nettoyer un espace et planter des cannes à sucre apportées de la Martinique, s'était éloigné après avoir noté le relèvement de cette place : 29 degrés 58 minutes. Un an plus tard, Le Sueur et Tonty s'étaient rencontrés là, en plein hiver, et deux de leurs porteurs avaient eu les pieds gelés pour avoir passé la nuit dans un marécage. Le brave Tonty avait aussitôt nommé le site « portage des Égarés » et campé à l'abri « de gros cyprès sur les branches desquels perchent des poulets d'Inde pesant au moins trente livres et que les coups de fusil n'effrayent pas ! ».
Bienville, en redécouvrant le site, imagina tout de suite « avec une intelligence divinatrice », écrivit plus tard Élisée Reclus, qu'on pourrait construire là un comptoir où le commerce intérieur et le commerce maritime opéreraient de fructueux échanges. En utilisant la route du fleuve ou celle des lacs, suivant leur tonnage, les bateaux trouveraient un havre commode et la Compagnie un séjour sûr pour installer ses bureaux et son personnel. Comme il fallait donner un nom au futur établissement, il pensa au tout-puissant duc d'Orléans, régent du royaume, et décida que le futur port fluvial, situé à cent soixante-quinze kilomètres de la mer, s'appellerait La Nouvelle-Orléans.
Malgré de fréquents brouillards et l'« air fiévreux », les premiers travaux de défrichement du site, effectués par un groupe de faux sauniers 5 récemment arrivés de France, commencèrent entre le 15 mars et le 15 avril 1718. Mais, un an plus tard, quatre maisons seulement étaient en construction. Cette lenteur dans la réalisation tenait certes aux difficultés rencontrées par les défricheurs mais aussi à l'opposition que les habitants des petits établissements du littoral manifestaient. Les commerçants et les manutentionnaires de Biloxi et de l'île Dauphine tenaient à conserver le maigre avantage que représentaient le chargement et le déchargement des bateaux ; les bateliers du lac Pontchartrain craignaient de se voir privés de fret pour les postes établis entre le golfe et les Illinois, si les navires remontaient le Mississippi jusqu'à l'établissement projeté. Or la
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