Au Pays Des Bayous
double obstacle fut surmonté au prix de quelques générosités envers des personnages influents. Un abbé débauché, dont la sœur, chanoinesse libertine, avait coutume de dormir dans le lit du tout-puissant cardinal Dubois, convertit Law au catholicisme de rigueur et la naturalisation fit de cet Écossais un Français des plus présentable. Ainsi, celui qui avait commencé sa carrière, à Londres, « chez le louche Nicholson », tenancier d'une maison de jeu, en plumant au pharaon les fils de lord, devint le maître des finances françaises.
La fondation de La Nouvelle-Orléans
Tandis que John Law, « repreneur » de l'entreprise Louisiane, organisait à Paris le financement de l'exploitation du monopole abandonné par Crozat, les habitants de la colonie, dont le nombre, militaires y compris, ne dépassait pas quatre cents, se débattaient dans les mêmes difficultés qu'ils connaissaient depuis leur arrivée. Quant aux dirigeants, ils étaient retombés, en peu de mois, dans les travers de leurs prédécesseurs et se montraient incapables de conduire une politique commune. Le nouveau gouverneur, Jean Michiele de Lépinay, s'était vite rendu impopulaire en interdisant la vente de l'eau-de-vie aux Sauvages, en se montrant arrogant avec les habitants, dont il entendait réformer les mœurs, en réduisant les cadeaux destinés aux Indiens, en disposant à son gré des fonds publics. Pour avoir privé arbitrairement l'ordonnateur de ses responsabilités en matière de police et de justice, il s'était aussi fâché avec ce dernier. Marc-Antoine Hubert, qui, déjà, ne comprenait pas qu'on lui allouât mille cinq cents livres par an, alors que Lépinay en recevait quatre mille, supportait très mal le manque de tact et l'autoritarisme du gouverneur. Loin de seconder efficacement ce dernier, il écrivait au conseil de Marine pour se plaindre et signaler toutes les malversations, réelles ou supposées, qu'il croyait déceler.
Bienville, à qui M. de Lépinay avait remis, dès son arrivée, au nom du roi de France, la croix de Saint-Louis, avait tout de suite deviné que le seigneur de La Longueville n'avait pas plus de chances que La Mothe-Cadillac de réussir en Louisiane. Sachant parfaitement manœuvrer au milieu des intrigues et des chicanes, le lieutenant du roi s'était assuré les bonnes grâces du nouveau commissaire, comme il avait su le faire autrefois de celles de Duclos. Les coteries commençaient à se former dans la population quand Crozat, qui avait fait nommer Lepinay en 1717, quitta la scène. Les directeurs de la Compagnie d'Occident, en prenant la relève, jugèrent utile de faire rappeler un homme incapable de s'imposer et le destin de la Louisiane fut, une fois de plus, confié à l'indispensable Bienville, destiné, semble-t-il, à jouer les intérimaires !
Les lettres patentes accordées à la Compagnie d'Occident paraissent plus favorables au gestionnaire que celles offertes autrefois à Crozat. Fondée au capital de cent millions, divisé en actions de cinq cents livres payables en billets de la banque de Law, et bénéficiant de la création à son profit de quatre millions de rentes sur la ferme du contrôle, des postes et du tabac, la Compagnie a reçu pour vingt-cinq années, non seulement le monopole du commerce de la Louisiane, mais aussi, ce qui est d'une rentabilité plus assurée, la traite du castor au Canada. De surcroît, on lui livre d'immenses territoires comme le précise l'article 5 de la charte rédigée au nom du roi et signée par le Régent : « Pour donner moyen à ladite Compagnie d'Occident de faire des établissements solides et la mettre en état d'exécuter tous les desseins qu'elle pourra former, Nous lui avons donné, octroyé et concédé, donnons, octroyons et concédons par ces présentes, à perpétuité, toutes les terres, côtes, ports, havres et îles qui composent Notre province de la Louisiane, ainsi et dans la même étendue que Nous l'avions accordé au sieur Crozat par Nos lettres patentes du quatorzième jour du mois de septembre mil sept cent douze, pour en jouir en toute propriété, seigneurie et justice, ne Nous réservant autres droits ni devoirs que la seule foi et hommage que ladite Compagnie sera tenue de Nous rendre et à Nos successeurs rois à chaque mutation de roi, avec une couronne d'or du poids de trente marcs 3 . » Ainsi, pour moins de quinze lingots de nos jours, John Law s'assurait l'exploitation d'un
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