Au Pays Des Bayous
dévouée camériste. Ayant fait un rêve au cours duquel « un brahamane des bords du Gange l'avait emmenée dans une belle contrée » en lui murmurant « c'est l'Amérique, c'est là que tu seras heureuse », elle avait opté sans hésitation pour la Louisiane. Et comme Cupidon, entremetteur compatissant, veille à la consolation des femmes déçues, la malheureuse princesse avait retrouvé, sur les bords du Mississippi, un de ses anciens admirateurs, le chevalier d'Auban, Français rencontré à la cour de Russie 10 . Devenu planteur d'indigo, ce gentilhomme avait nommé son domaine Vallon de Christine, en souvenir de l'inaccessible belle de Saint-Pétersbourg ! La romance, si bien racontée en deux volumes par Isabelle de Montolieu 11 , se termina par un mariage, le tsarévitch, poursuivi par son père pour crime de lèse-majesté, étant mort en prison peu de jours après sa condamnation.
Cette fable plut aux Louisianais et fut admise comme vérité dynastique par le maréchal de Saxe. Devenue veuve pour la deuxième fois, la supposée bru de Pierre le Grand convola avec Urbain de Maldague et s'en fut vivre, en 1754, à l'île Bourbon, où son troisième époux rendit l'âme. Mme de Montolieu raconte que cette femme étonnante connut une fin de vie édifiante à Bruxelles. Bien des années plus tard, Georges Oudard révéla que l'exilée de Louisiane mourut à Vitry, en 1771, et que l'ambassadeur d'Autriche assista à la messe d'enterrement, ordonnée par Louis XV et célébrée par l'abbé Sauvestre, aumônier de la cour. On découvrit aussi, à cette occasion – et les registres de la paroisse l'ont prouvé à des chercheurs plus tardifs – que la mère de Pierre II avait été inhumée sous le nom de Dortie-Marie Élisabeth Danielson ! On ne doute plus aujourd'hui que la véritable princesse de Wolfenbüttel soit bien morte en 1715, après avoir mis au monde le petit-fils de Pierre le Grand, futur tsar, ainsi que l'indiquait déjà la Biographie universelle publiée par Garnier en 1832. Authentiques ou imaginaires, les destins croisés de Manon, fille de joie au cœur tendre, et de Sophie-Charlotte, princesse exilée, appartiennent à jamais aux annales romanesques de la Louisiane.
Des Allemands de bonne volonté
Parmi tous les colons envoyés en Louisiane depuis 1717 par la Compagnie des Indes à la demande de John Law, les Allemands furent toujours considérés comme les meilleurs éléments. Appréciés pour leur sérieux, leur sens de l'organisation, leur ardeur au travail et leur discipline, ils furent de tous les défricheurs ceux qui contribuèrent le plus efficacement au développement de l'agriculture dans la colonie.
John Law, qui avait sans doute apprécié au cours de ses voyages les qualités des laboureurs et des artisans allemands, avait confié à l'un de ses collaborateurs, Jean-François Melon, économiste et secrétaire du Régent, le soin d'organiser le recrutement. Melon, qui se piquait de littérature et devait laisser, sous le titre Mahmoud-le-Ghaznévide , une histoire allégorique de la Régence et un Essai politique sur le commerce , connaissait l'influence de la publicité écrite. Aussi avait-il, en 1720, fait rédiger en allemand et imprimer à Leipzig « par le fils de feu J. Friedrich Gleditschen », dans une belle gothique, des prospectus qui furent largement diffusés outre-Rhin et dont le texte de la page de titre mérite d'être traduit et reproduit dans sa présentation :
D ESCRIPTION
historique et géographique détaillée
du pays accueillant de Louisiane situé
en Amérique du Nord sur le grand fleuve
MISSISSIPPI
dans lequel la grande
COMPAGNIE DES INDES
française, récemment fondée, a commencé
à envoyer des colons ; en même temps nous
communiquons quelques réflexions sur les
desseins à longue portée de ladite compagnie
et du commerce qui en résulte.
Nouvelle édition avec de nouveaux
suppléments et remarques 12 .
On joignait parfois à ces fascicules la reproduction d'une gravure colorée, commandée à François-Gérard Joullain, où l'on voit des commerçants français débarqués d'un bateau dans un paysage idyllique et échangeant avec des Indiens, emplumés et respectueux, des marchandises variées, tombées sans aucun doute d'une corne d'abondance.
Les « engagés », séduits et recrutés en Alsace, dans le Wurtemberg, le Palatinat, la Franconie, le Brandebourg, le pays de Bade, la Bavière et les petits
Weitere Kostenlose Bücher