Au Pays Des Bayous
l'article 31 de la charte de fondation de la première Compagnie des Indes, du 28 mai 1664, ait contraint le roi « à défendre de nos armes et de nos vaisseaux à nos frais et dépens » toutes les possessions de la société, le maintien d'une force permanente aux ordres de la Compagnie s'était révélé indispensable. La marine traditionnellement chargée de la défense des territoires d'outre-mer ne suffisant pas à la tâche, des régiments de marins-fantassins avaient été créés par Colbert. Ceux-ci devinrent, sous Pontchartrain, les Compagnies franches de la marine. Ces unités à pied allaient bientôt constituer une véritable armée coloniale autonome. Celle-ci prendra plus tard le nom d'infanterie de marine et les marsouins s'illustreront sous toutes les latitudes, portant jusqu'à nos jours pour insigne l'ancre d'or qui rappelle leur origine maritime.
Les Suisses, excellents soldats, disciplinés et fidèles, maintes fois employés par les rois de France, participèrent, dans ces corps spéciaux, aux entreprises coloniales. Le régiment de Carignan-Sallières, fort de vingt compagnies et de mille hommes, fut le premier des régiments suisses à traverser l'océan. Il servit au Canada dans les guerres indiennes et de nombreux soldats réformés reçurent des terres et s'installèrent sur les rives du Saint-Laurent.
Quand commença, d'une façon méthodique, le peuplement de la Louisiane, la Compagnie des Indes fit à nouveau appel aux Suisses. En décembre 1719, le chevalier François-Adam Karrer, capitaine au régiment suisse du Buisson, fut chargé par les collaborateurs de John Law de lever un bataillon suisse composé de trois compagnies de deux cents hommes. Né à Soleure en 1672, Karrer avait déjà servi dans l'armée française et obtenu, pour s'être vaillamment conduit lors de la bataille de Malplaquet, le grade de capitaine dans le régiment de Sallis. En juin 1720, le bataillon constitué par les soins de Karrer, fort de six cents Suisses et Alsaciens, prit ses quartiers à Port-Louis, près de Lorient. Un an plus tard, l'officier ayant reçu du Régent une commission de colonel, le bataillon devint régiment, fut renforcé d'une compagnie supplémentaire de réserve dite « colonelle » et mis aux ordres de la marine. Il prit alors, suivant la tradition, le nom de son fondateur et fut désormais appelé Karrer-Marine. Bientôt, des détachements embarquèrent pour la Martinique, Saint-Domingue, le Canada et, plus tard, pour la Louisiane. Le drapeau des compagnies du régiment Karrer, divisé en quartiers gironnés de six flammes rouges, bleues et jaunes par la croix blanche de France, portait en fasce la devise Fidelitate et Honore , et en pal la devise Terra et Mare . Les quartiers du drapeau de la compagnie colonelle ne portaient pas de gironnés colorés mais un semis de fleurs de lis d'or. L'uniforme des soldats se composait d'un habit rouge à manches en botte avec doublure et parements bleus, d'une culotte et d'une veste bleue, croisée à double boutonnage avec boutonnières blanches, boutons d'étain façonnés et petit collet bleu. Les bas, couverts par des guêtres en tenue de campagne, étaient blancs ou bruns, les chaussures basses ornées d'une boucle. La coiffure ordinaire, un tricorne à hauts bords galonnés d'argent, était remplacée, en hiver, par un bonnet de fourrure, pour les détachements envoyés au Canada. L'armement consistait en un mousquet pourvu d'une baïonnette, plus un sabre suspendu à un large baudrier de cuir. La tenue des officiers, habit bleu à col rouge, ouvert sur une chemise blanche et une cravate noire, tricorne noir orné d'une plume blanche retenue à l'aile du chapeau par une cocarde, passait pour une des plus élégantes de l'armée. Boutons et boucles d'argent lui conféraient même quelque coquetterie 14 !
Les militaires du régiment de Karrer ne furent pas les seuls Suisses à servir en Louisiane. Le premier contingent, qui débarqua en novembre 1720 de la Mutine , en même temps que les filles à la cassette, les prisonnières de la Salpêtrière, les ingénieurs et architectes du roi et les engagés des sociétés concessionnaires déjà constituées, était composé de cent quarante officiers et soldats, soit les trois quarts des effectifs d'une unité particulière recrutée et commandée par le capitaine David-François de Merveilleux, que secondait le capitaine Jacques Brandt. Cette compagnie de soldats-ouvriers, parmi
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