Au Pays Des Bayous
escale à Cap-Français, où l'on pansa les blessures des hommes et du bateau.
Il ne restait plus à bord que huit hommes d'équipage et une cinquantaine d'Allemands qui désiraient toujours se rendre en Louisiane. Ils y furent transportés, avec ce qu'ils avaient pu récupérer d'effets, de bagages et d'outils, par le Profond , un bateau de La Rochelle, commandé par M. Du Gerneur, qui venait de débarquer en Louisiane des ouvriers destinés à la concession de Law. Les émigrants allemands rescapés ne virent le Mississippi qu'au mois d'avril 1722. Ils avaient mis quinze mois pour toucher à la terre promise… par les tracts de Jean-François Melon !
À leur arrivée en Louisiane, ces premiers Allemands, et ceux de leurs compatriotes qui allaient les rejoindre au cours des mois suivants, auraient dû être conduits à la concession de Law, située dans une vaste prairie, au cœur du triangle que forment les terres, fertiles mais inondables, au confluent de l'Arkansas et du Mississippi. Le site était alors considéré comme l'extrémité nord du cours inférieur du grand fleuve.
Si l'on en croit Bertrand Dufresne, un Malouin, directeur de la Compagnie des Indes en Louisiane, qui fit une inspection au printemps de 1722, une cinquantaine de Français, hommes et femmes, que le père Charlevoix qualifie peu aimablement de « tristes débris », n'avaient encore défriché que trois arpents, soit environ un hectare, de la propriété du banquier. Ces pionniers, logés dans de misérables baraques, attendaient le renfort des agriculteurs allemands. La Compagnie manquant de bateaux pour transporter ces derniers – on devait remonter le Mississippi sur plus de cinq cents kilomètres pour atteindre le confluent de l'Arkansas –, les Allemands furent répartis dans la région dite des Cannes-Brûlées, au pays des Indiens Taensa, sur la rive droite du fleuve, à une quarantaine de kilomètres au nord de La Nouvelle-Orléans. Employés sur les concessions de MM. d'Artagnan, Delaire et Demeuves, ils surent avec opiniâtreté mettre les terres en valeur et, en 1722, les émigrants allemands avaient construit trois petits villages qui abritaient plus de trois cents personnes.
Bienville avait fait un choix judicieux en désignant comme responsable de ces implantations le capitaine Karl-Frédéric d'Arensbourg. Cet officier, formé au service du roi Charles XII de Suède, était arrivé en Louisiane en 1721 à bord du Portefaix , qui transportait le second convoi des émigrants allemands, suisses et souabes dont il avait facilité le recrutement. Bien qu'âgé seulement de vingt-trois ans, il avait fait preuve de tant de valeur et d'intelligence que le commandant général lui avait aussitôt confié des missions de police et de justice.
Dans le même temps que prenaient vie sur les rives du Mississippi des établissements qui allaient devenir, au fil des années, les plus prospères de la colonie, à Lorient, la Compagnie des Indes décidait de renvoyer dans leurs foyers les quatre cents Allemands qui attendaient encore d'être transportés en Louisiane. Chacun reçut vingt livres de dédommagement. Tout juste de quoi retourner au pays, car aucun convoi ne fut organisé pour ces rapatriements.
Les Allemands de Louisiane, vite intégrés – certains francisèrent même leur nom – et comprenant après la déconfiture de Law qu'ils ne seraient jamais transportés sur les concessions des Arkansa, s'adjugèrent, sans susciter d'autre protestation que de principe de la part de la Compagnie des Indes, les domaines qu'ils avaient défrichés. Les propriétaires légitimes de ceux-ci, associés en désaccord permanent, s'épuisaient en procès et en démarches pour obtenir de la Compagnie des Indes le remboursement de frais engagés sans profit. Comme ils semblaient se désintéresser de l'exploitation des terres qui leur avaient été dévolues, les Allemands, réalistes et avisés, s'en étaient emparés.
Un demi-siècle plus tard, ces pionniers enrichis et unis joueront un rôle important, au côté des Français, dans la rébellion de 1768 contre les Espagnols.
Un régiment suisse
Les différentes compagnies de commerce maritime qui se succédèrent sous le nom de Compagnie des Indes disposèrent toujours de troupes privées. Les contrôles, la perception des droits, la garde des magasins et la protection des comptoirs coloniaux obligèrent ces entreprises à entretenir des formations militaires. Bien que
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