Au Pays Des Bayous
avec un rien de perfidie le gouverneur. Toujours d'après Marc de Villiers du Terrage, la vraie Manon n'aurait pas succombé à une fièvre maligne en Louisiane mais, après différentes aventures, serait rentrée en France. Arrêtée pour tenue de maison de débauche, elle aurait été renvoyée d'où elle était partie quelques années plus tôt : la prison-hôpital de la Salpêtrière !
Plus vraisemblables nous paraissent les identifications proposées par Maximilien Vessier qui, rendant compte des derniers travaux des chercheurs, croit cependant prudent de préciser : « […] on a cherché en utilisant les méthodes historiques les plus éprouvées et tous les auteurs sérieux sont tombés d'accord sur une hypothèse qui, jusqu'à prochaine exégèse, demeure la plus crédible. » D'après ces études, la véritable Manon serait née à Lyon en 1707, d'une femme débauchée, Antoinette Levieux, dite Toinon. Nommée Marie-Magdeleine, cette fille d'un amant de passage de Toinon aurait été arrachée à son milieu malsain par son grand-père maternel, amenée à Paris, convenablement éduquée puis reprise par sa mère à l'âge de douze ans et livrée en pâture à de riches libertins. Il est permis de supposer que la fillette avait quelques dispositions ataviques, car c'est un « client », le chevalier de Vainteix, fils d'un conseiller du présidial de Besançon et modèle supposé de Des Grieux, qui, s'étant épris d'elle, l'aurait installée dans ses meubles. Bien qu'amoureux, le noceur, dénué de ressources et fieffé paresseux, se serait résolu quelques mois plus tard à vivre des charmes négociables de Marie-Magdeleine et aurait placé sa maîtresse dans une « maison » tenue par une célèbre maquerelle, la veuve Cormier. Le 9 décembre 1721, la petite prostituée, réclamée par sa mère, aurait été envoyée à la Salpêtrière à la demande du bon grand-père, soucieux de soustraire une nouvelle fois l'adolescente à l'indigne Toinon, à l'odieux commerce et au souteneur à particule, prêt au mariage pour sauver son bonheur… et son gagne-pain ! C'est à ce moment-là, si l'on en croit un autre chercheur, M. Frédéric Deloffre, que l'abbé Prévost, alors confesseur des prisonnières, aurait reçu les confidences de la libertine dont il serait même tombé amoureux, comme cela lui arrivait souvent ! Plus tard, il se serait inspiré de l'histoire de cette fille pour composer le roman qui le fit passer à la postérité, en mêlant à la destinée de Marie-Magdeleine celle d'une autre prostituée, internée à la Salpêtrière, nommée elle aussi Marie-Magdeleine, qui fut envoyée en Louisiane. Quant au décor de la colonie, le romancier trouva de quoi le brosser assez exactement dans les innombrables récits des voyageurs et peut-être des anciennes pensionnaires de la Salpêtrière revenues d'Amérique. Si les erreurs topographiques du roman ont été depuis longtemps relevées par les Louisianais, il en est deux qui les font toujours sourire. L'abbé évoque les montagnes de la région de La Nouvelle-Orléans, alors que le pays est plat comme la Flandre 9 , et fait mourir Manon d'épuisement et de soif dans un désert sablonneux ; or il n'est pas un pays au monde où l'on puisse trouver, en tout temps et à portée de main, autant d'eau !
La Louisiane, vantée par les uns, décriée par les autres et surnommée la chimère du Mississippi par ceux qui se méfiaient de la propagande diffusée à l'instigation de Law, attira aussi, au cours de la première moitié du XVIII e siècle, des curieux, des marginaux, des hommes et des femmes à la recherche d'une terre d'asile et quelques imposteurs. C'est ainsi que l'on vit débarquer, en 1720, une belle femme aux yeux tristes, accompagnée de parents, de domestiques et disant se nommer Augustine Holden. À la faveur d'indiscrétions, sans doute organisées, on finit par savoir, puis croire, qu'il s'agissait d'une princesse de la maison de Brunswick, Sophie-Charlotte-Christine de Wolfenbüttel, épouse en fuite du tsarévitch Alexis Petrovitch et donc bru de Pierre le Grand, tsar de toutes les Russies. Ne pouvant plus supporter les brutalités d'un mari infidèle, jouisseur bestial, elle avait mimé sa propre mort après avoir mis au monde un fils destiné au trône. Avec l'aide du comte de Koenigsmark, elle avait pu, après la mise en terre d'un cercueil lesté et censé contenir ses restes, quitter Saint-Pétersbourg avec sa
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