Au Pays Des Bayous
électorats de Trèves ou de Mayence, se présentèrent en assez grand nombre pour que leur acheminement, du lieu d'origine jusqu'à Lorient, port d'embarquement, s'effectuât en convois, qui traversèrent le nord de la France en suscitant parfois quelques perturbations dans les villes et villages. Des Suisses faisaient aussi partie du contingent allemand, ce qui leur valut souvent d'être abusivement assimilés aux Germains.
Trois mille neuf cent quatre-vingt-onze Allemands, chiffre fourni par la Compagnie des Indes, se trouvaient rassemblés le 3 juillet 1720, dans un camp près de Ploemeur, paroisse située à l'ouest de Lorient. Ils allaient y passer de nombreux mois, comme le prouvent les registres de la paroisse sur lesquels un magistrat lorientais 13 a relevé de nombreux actes de baptême, de mariage, d'inhumation et même un acte d'abjuration « de l'hérésie de Luther » concernant des Allemands « passant avec la troupe pour la Louisiane ».
Près des trois quarts de ces candidats à l'émigration ne devaient jamais voir le Mississippi. Des maladies infectieuses, mal définies mais épidémiques, et des maux de toute sorte décimèrent les familles, aussi bien à terre qu'à bord des bateaux, pendant des traversées qui n'allaient pas sans autres risques.
Parmi les futurs colons réunis à Lorient, certains durent attendre plus d'un an, sous la tente, dans les dépendances du château de Tréfaven, qui servait aussi d'hôpital, ou chez les habitants, le moment d'embarquer pour l'Amérique. Réduits le plus souvent à des conditions d'hygiène détestables et mal nourris, les recrutés adressaient des plaintes au directeur de la Compagnie, mais, entièrement soumis au bon vouloir d'une administration qui se souciait plus du profit des actionnaires que du confort des engagés, les émigrants ne pouvaient que prendre leur mal en patience.
On sait par les livres de comptes de la Compagnie des Indes que l'hébergement et l'entretien, à Lorient, des familles allemandes coûta cependant quatre cent cinquante mille livres. Cette somme fut, plus tard, réclamée à Law sous prétexte que les Germains avaient été embauchés spécialement pour mettre en valeur les concessions qu'il avait fondées avec ses associés, le marquis d'Ancenis et le duc de Gramont. Le banquier refusa toujours de reconnaître et d'acquitter cette dette et, quand la colonie fut dévolue à la Couronne, en 1732, la facture impayée fut envoyée au roi !
Le premier contingent embarqué sur le Deux-Frères arriva cependant en Louisiane en février 1721. Sur les deux cent dix passagers inscrits lors de l'appareillage, cent quarante-trois seulement touchèrent au terme du voyage : trente-deux hommes, trente-six femmes et soixante-quinze enfants.
Les dangers de la traversée
La traversée de l'Atlantique ne constituait pas, en ce temps-là, une aimable croisière. L'odyssée de la robuste flûte la Garonne , commandée par le capitaine Pierre-Edmée Burat, partie le 24 janvier 1721 de Lorient, avec deux cent quatre émigrants allemands, dont André Traeger, maire de Frederichsort, reflète bien les risques encourus. Avant même que ce vaisseau prît le large, on avait déploré, à bord, le décès d'une vingtaine de personnes. L'air marin ne devait pas améliorer la situation sanitaire et, quand le bateau fut arraisonné, à proximité de l'île de Saint-Domingue où il devait faire escale, par la Gaillarde , un corsaire manœuvré par des pirates de la Martinique, ni l'équipage ni les passagers, malades et affaiblis par la dysenterie, ne purent résister.
La Garonne fut contrainte d'aller mouiller dans la baie de Samana, sur la côte est de Saint-Domingue, où les forbans, à l'abri des curiosités, pillèrent les bagages des émigrants, violèrent leurs femmes et tuèrent les marins qui tentaient de s'opposer à leurs exactions. Ils prélevèrent ensuite sur le navire prisonnier tout ce qui pouvait être utile au confort et à la bonne marche de leur propre bateau.
Les survivants ne durent leur salut qu'à l'arrivée soudaine de trois bateaux envoyés par le gouverneur de Saint-Domingue à la demande du représentant de la Compagnie des Indes, informé, on ne sait comment, du sort lamentable de la Garonne .
Les corsaires ayant été mis hors d'état de nuire par les soldats embarqués sur les vaisseaux du roi, le commandant du navire à demi démonté choisit, en mars 1722, de reprendre la route de Lorient, après une
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