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Au pied de l'oubli

Au pied de l'oubli

Titel: Au pied de l'oubli Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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cette chaîne
     d’argent en lui expliquant qu’il fallait pardonner et ne plus chercher
     vengeance…
    Nu, il resta un long moment à tourner le dos à Hélène, perdu dans ses pensées.
     Se méprenant, elle crut que son amant était dégoûté par elle, à cause de ce
     qu’elle venait de lui révéler. Honteuse et tremblante, elle se rhabilla
     rapidement. Les yeux embués de larmes, elle murmura :
    — Tu m’aurais jamais touchée si t’avais su... que... t’étais pas le premier,
     Chapeau. Je m’excuse…
    L’Amérindien se retourna, le visage tourmenté. Nu, majestueux, d’un pas lent,
     il revint vers elle. Il remit son pantalon. N’en pouvant plus, la jeune fille
     laissa tomber sa tête entre ses mains et éclata en sanglots. Rapidement, Chapeau
     s’accroupit au-devant d’elle et, avec douceur, lui releva le menton. Sans la
     quitter des yeux, Chapeau défit l’attache de sa chaînette et en para le cou
     d’Hélène. Émue, elle accepta le gage d’amour. Chapeau pointa son index surlui, croisa ses bras en s’étreignant lui-même, puis montra le
     cœur de sa compagne. À haute voix, Hélène traduisit les gestes : « Moi, aimer,
     toi. » Avec un sourire, elle répondit par la même séquence. « Moi, aimer, toi… »
     Puis, au grand étonnement d’Hélène, d’une voix un peu rauque, gutturale, mais
     belle, Chapeau fredonna un air de son peuple. Il se redressa et, tout en
     psalmodiant son chant de gorge, esquissa des pas de danse. Au travers des
     branches des arbres, le soleil se mit de la partie. Inspiré, l’astre créa un
     ballet de lumière sur la peau cuivrée du danseur. La cadence augmenta.
     Subjuguée, Hélène ne pouvait détacher ses yeux de Chapeau. Il était mouvance,
     renaissance… Il fêtait la vie. En riant, il vint la prendre dans ses bras et la
     fit tournoyer. Ce fut elle qui tendit les lèvres, quémandant sans gêne qu’il
     l’embrasse de nouveau.
    — J’avais jamais entendu le son de ta voix. Essaie de dire mon nom, lui
     demanda-t-elle.
    Il refusa d’un signe de tête. Il ne pouvait articuler les syllabes.
    — Un jour, tu me raconteras ce qui est arrivé à ta langue, dit Hélène.
    Les traits de Chapeau se durcirent.
    « Jamais, oh non, jamais… », se promit-il.

    Accusant le choc d’avoir vu sa femme dans les bras d’Yves, les oreilles
     bourdonnantes, François-Xavier revint au chalet comme un automate. Ainsi, les
     nombreuses absences de Julianna s’expliquaient autrement que par le travail !
     Lorsque Henry vint à sa rencontre, il dut faire répéter l’avocat. Celui-ci lui
     rappelait l’urgence d’abattre le vieux bouleau. Les deuxhommes
     allèrent examiner la situation. Henry crut, à l’air préoccupé de
     François-Xavier, que son ami se concentrait sur la complexité de l’opération. La
     cime de l’arbre penchait dangereusement vers le toit du chalet. Sous le poids
     des années, des charges répétées des mauvais jours, le majestueux végétal avait
     courbé les épaules. François-Xavier opina de la tête.
    — Ouais, il passera pas un autre hiver.
    — Je m’en doutais, dit Henry.
    À la gauche du bouleau, François-Xavier lui désigna un groupe d’immenses
     conifères.
    — Il faudra abattre ces trois épinettes-là aussi.
    — Quoi ? Voyons François-Xavier, j’ai rarement vu des arbres plus droits que
     ceux-là.
    Un dénivelé formait un genre de cuvette dans laquelle la pluie restait
     prisonnière, fragilisant l’enracinement des arbres. Ils ne pourraient résister
     si par malheur un très fort vent soufflait sur eux.
    — Ce coin de terrain se draine pas comme il faut. Ces arbres ont poussé sur pas
     grand-chose. Ils tiennent de peur. Ils ont beau paraître ben solides, des
     racines dans l’eau, c’est traître.
    Pensivement, François-Xavier réalisa que cette vulnérabilité s’appliquait
     également à l’être humain. Comment ne pas perdre pied devant un mauvais coup du
     sort ? À quoi s’accrocher quand tout vacille autour de nous ? François-Xavier
     frissonna au souvenir de Julianna et d’Yves sur la plage. Son père Ernest ne lui
     avait peut-être pas légué de fortune, cependant, il lui avait fait comprendre
     l’importance de la bonté, de l’entraide, du courage, du pardon… Ces valeurs
     étaient ancrées profondément en lui. François-Xavier soupira. Saurait-il se
     révéler assez fort pour surmontercette souffrance innommable qui
     l’anéantissait ?

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